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Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/104

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Sans prononcer une seule parole, Vitalis s’avance courbé en deux ; malgré le froid, sa main brûle la mienne ; il me semble qu’il tremble. Parfois, quand il s’arrête pour s’appuyer une minute sur mon épaule, je sens tout son corps agité d’une secousse convulsive.

D’ordinaire je n’osais pas trop l’interroger, mais cette fois je manquai à ma règle ; j’avais d’ailleurs comme un besoin de lui dire que je l’aimais ou tout au moins que je voulais faire quelque chose pour lui.

– Vous êtes malade ! dis-je dans un moment d’arrêt.

– Je le crains ; en tous cas, je suis fatigué ; ces jours de marche ont été trop longs pour mon âge, et le froid de cette nuit est trop rude pour mon vieux sang ; il m’aurait fallu un bon lit, un souper dans une chambre close et devant un bon feu. Mais tout ça c’est un rêve : en avant, les enfants !

Bien qu’il fit sombre et que des chemins se croisassent à chaque pas, Vitalis marchait comme un homme qui sait où il va et qui est parfaitement sûr de sa route ; aussi je le suivais sans crainte de nous perdre, n’ayant d’autre inquiétude que celle de savoir si nous n’allions pas arriver enfin à cette carrière.

Mais tout à coup il s’arrêta.

– Vois-tu un bouquet d’arbres ? me dit-il.

– Je ne vois rien.

– Tu ne vois pas une masse noire ?

Je regardai de tous les côtés avant de répondre ; nous devions être au milieu d’une plaine, car mes yeux se perdirent dans des profondeurs sombres sans que rien les arrêtât, ni arbres ni maisons ; le vide