Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/128

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Milligan avait demandé à me garder près d’elle : je ne voulus pas avoir à m’adresser les mêmes reproches que Vitalis.

– Ne pense qu’à toi, Mattia, dis-je d’une voix émue.

Mais il vint vivement à moi et me prenant la main :

– Quitter mon ami ! je ne pourrais jamais. Je vous remercie, monsieur.

Espinassous insista en disant que quand Mattia aurait fait sa première éducation, on trouverait le moyen de l’envoyer à Toulouse, puis à Paris au Conservatoire ; mais Mattia répondit toujours :

– Quitter Rémi, jamais !

– Eh bien, gamin, je veux faire quelque chose pour toi, dit Espinassous, je veux te donner un livre où tu apprendras ce que tu ignores.

Et il se mit à chercher dans des tiroirs : après un temps assez long, il trouva ce livre qui avait pour titre : Théorie de la musique ; il était bien vieux, bien usé, bien fripé, mais qu’importait.

Alors, prenant une plume, il écrivit sur la première page : "Offert à l’enfant qui, devenu un artiste, se souviendra du perruquier de Mende."

Je ne sais s’il y avait alors à Mende d’autres professeurs de musique que le barbier Espinassous, mais voilà celui que j’ai connu et que nous n’avons jamais oublié Mattia ni moi.