Page:Malot - Sans famille, 1902.djvu/48

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Il est vrai que le velours était froissé, il est vrai que la laine était râpée ; il est vrai aussi qu’il était fort difficile de savoir quelle avait été la couleur primitive du feutre, tant il avait reçu de pluie et de poussière, mais ébloui par tant de splendeurs, j’étais insensible aux imperfections qui se cachaient sous leur éclat.

J’avais hâte de revêtir ces beaux habits, mais avant de me les donner, Vitalis leur fit subir une transformation qui me jeta dans un étonnement douloureux.

En rentrant à l’auberge, il prit des ciseaux dans son sac et coupa les deux jambes de mon pantalon à la hauteur des genoux.

Comme je le regardais avec des yeux ébahis :

– Ceci est à seule fin, me dit-il, que tu ne ressembles pas à tout le monde. Nous sommes en France, je t’habille en Italien ; si nous allons en Italie, ce qui est possible, je t’habillerai en Français.

Cette explication ne faisant pas cesser mon étonnement, il continua :

– Que sommes-nous ? Des artistes, n’est-ce pas ? des comédiens qui par leur seul aspect doivent provoquer la curiosité. Crois-tu que si nous allions tantôt sur la place publique habillés comme des bourgeois ou des paysans, nous forcerions les gens à nous regarder et à s’arrêter autour de nous ? Non, n’est-ce pas ? Apprends donc que dans la vie le paraître est quelquefois indispensable ; cela est fâcheux, mais nous n’y pouvons rien.

Voilà comment de Français que j’étais le matin, je devins Italien avant le soir.