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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/110

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XCVI
LA FRANCE ILLUSTRÉE

en effet, il a comme lui à un haut degré l’esprit, l’enjouement, la verve, et comme lui encore il s’est créé un style inimitable.

Racan, le disciple de Malherbe, à qui il emprunta ses qualités sans ses défauts, et dont la douceur et l’élégance font pressentir le style de Racine ; Rotrou, dont le génie fier et hardi rappelle parfois les mâles beautés de Corneille, surtout dans quelques scènes du Véritable Saint-Genest et dans l’admirable tragédie de Venceslas ; — Adam Billaut, le Virgile du rabot, dont les poésies brillent par une verve et une originalité puissantes ; — Papillon, auteur de poésies chrétiennes pleines d’imagination et de mouvement ; — Grécourt, connu par ses poésies légères et très légères ; — Guimond de La Touche, l’auteur d’Iphigénie en Tauride, qui eut un succès prodigieux et qui, sous le titre de Soupirs du cloître ou le Triomphe du fanatisme, publia une satire violente des jésuites au milieu desquels il avait vécu ; — Colardeau, le poète d’Héloïse et d’Abailard ; — Desmahis, auteur de la comédie de l’Impertinent ; — Destouches, qui s’est fait un nom par sa comédie du Glorieux ; — l’aimable Panard, le gai chansonnier ; — Collin d’Harleville, un de nos plus aimables écrivains comiques, qui parfois eut le tort de raconter ses personnages au lieu de les faire agir, mais dont la composition est vivifiée par une chaleur cachée ; — Dumersan, chansonnier et vaudevilliste ; — Charles Loyson, que la mort enleva à vingt-neuf ans, et dont le talent promettait un écrivain distingué.

Les prosateurs ne sont pas moins illustres que les poètes.

Louis XI, qui n’était sombre qu’en politique, travailla aux recueils souvent licencieux du Rosier des Guerres et des Cent Nouvelles nouvelles ; Billardon de Sauvigny, Dussaulx, le traducteur de Juvénal et l’auteur du Traité de la passion du jeu ; Gaillard, auteur dramatique ; Lavalette ; le comte de Tressan, qui fit revivre en France les romans de chevalerie ; Bussy-Rabutin, le caustique et spirituel correspondant et rival de Mme de Sévigné, à qui son Histoire amoureuse des Gaules mérita le surnom de Pétrone français ; le père Mersenne, l’ami et le correspondant de Descartes ; la savante Mme Dacier ; le grammairien Ménage ; Descartes, le père de la philosophie moderne, qui appartient par sa famille à la Bretagne, mais qui est né à La Haye, en Touraine ; les savants Desbillons, le père d’Orléans, l’abbé Berthier ; Labbé, le collecteur des conciles ; Jurieu, l’antagoniste de Bossuet et d’Arnaud ; l’abbé Guénée, le spirituel et mordant adversaire de Voltaire ; Nicole, une des gloires de Port-Royal ; les orateurs Corbin, Chamillard ; Bourdaloue, l’éloquent raisonneur ; Mirabeau, qui, bien qu’enfant de la Provence, appartient à Nevers par sa naissance ; et de nos jours Dupin aîné, aussi spirituel dans ses reparties qu’élégant dans ses discours judiciaires et politiques ; le philosophe Destutt de Tracy, digne disciple de Condillac, un des derniers et des plus éminents représentants de l’école sensualiste en France ; Fauriel, savant critique et historien ; Volney, historien philosophe, qui a tant fait pour l’histoire de l’Orient, et qui par son style s’est assuré un rang élevé parmi nos écrivains ; Brissot, l’homme politique et l’âme de la Gironde.

Mais avant tous et par la date et par le génie, nous devons placer Rabelais, ce prodigieux esprit, le Voltaire de son siècle, qui réunit en lui seul toutes les qualités du génie gaulois ; la verve, l’imagination poussée jusqu’au délire ; le bon sens élevé jusqu’à la plus haute éloquence. Sous cette enveloppe si gaie, parfois si burlesque, si obscène même, il se cache une pensée profonde. Il a vu tous les vices de son siècle ; il a prévu toutes les réformes, et, s’il n’a pas été brûlé, c’est que son siècle ne l’a pas compris et n’a vu de son livre que ses joyeusetés. Politique, religion, éducation, tout se trouve dans son livre, et plus d’une de ses idées a fait la fortune des écrivains qui plus tard les en ont tirées.

Tour à tour cordelier, bénédictin, médecin, bibliothécaire, secrétaire d’ambassade et curé, « il y aurait trop à dire sur Rabelais. Il est notre Shakspeare dans le comique. De son temps, il a été un Arioste à la portée des races prosaïques de Brie, de Champagne, de Picardie, de Touraine et de Poitou. Nos noms de provinces, de bourgs, de monastères ; nos habitudes de couvent, de paroisse, d’université, nos mœurs d’écoliers, de juges, de marguilliers, de marchands, il a reproduit tout cela le plus souvent pour en rire. Il a compris et satisfait à la fois les penchants communs, le bon sens droit et les inclinations matoises du tiers état au xvie siècle.

Le livre de Rabelais est un grand festin, non pas de ces nobles et délicats festins de l’antiquité où circulaient, au son de la lyre, les coupes d’or couronnées de fleurs, les ingénieuses railleries