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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/177

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LA FRANCE ILLUSTRÉE

d’Orléans, tantôt administrées au nom des rois d’Austrasie par des patrices ou maires du palais. Mais au VIIIe siècle une nouvelle secousse ébranla le sol ; de nouveaux conquérants apparaissent ; cette fois, c’est du sud qu’ils arrivent : ce sont les Sarrasins d’Abd-el-Rhaman ; ils remontent la Saône jusqu’à Chalon et là se partagent en deux armées, dont l’une envahit et ravage toute la rive gauche du fleuve. La victoire de Charles-Martel donne la date de leur dispersion ; on est moins bien renseigné sur la durée de leur séjour ; il dut être assez long, puisqu’on rencontre encore des constructions qui leur sont attribuées. La période qui s’étend de Charles-Martel à Louis le Débonnaire n’offre d’intéressant pour notre histoire que la lente élaboration de nouvelles divisions territoriales qui font pressentir déjà l’approche des temps féodaux. Il commence à être fait mention dans les chartes du Dombensis, principauté de Dombes, et de la Brissia, comté de Bresse. Par le traité de Verdun, en 843, ces provinces avaient été incorporées successivement au royaume d’Italie et de Lotharingie ; elles ne rentrèrent au domaine de Neustrie qu’à la mort de Louis II (879).

À cette époque d’inexprimable confusion provoquée par le partage du vaste empire de Charlemagne, compliquée par le capitulaire de Kiersy-sur-Oise, qui fonda les fiefs, se rattache l’établissement d’une première maison de Bourgogne qui compta quatre princes : Beuve d’Ardennes, Boson, roi d’Arles, Richard le Justicier et Gislebert de Vergy. Alors aussi apparaissent, pour la première fois, des comtes de Bresse, qui commencent, en 830, au sire de Beaugé, doté, par Louis le Débonnaire, de cette seigneurie, en récompense des services qu’il lui avait rendus, et qui finissent en 1268, avec Guy, mort sans autre descendance qu’une fille, nommée Sibylle, dont le mariage avec Amédée IV transporta à la maison de Savoie la plus grande partie de la Bresse. Rien n’est plus horriblement lugubre que le spectacle offert au Xe siècle par les contrées riveraines de la Saône. Déchirements féodaux, invasions des Normands et des Hongrois, dix famines et treize pestes ! On vendit publiquement de la chair humaine à Mâcon ! Hâtons-nous d’échapper à de pareils souvenirs, et sous la domination de la maison capétienne de Bourgogne suivons l’extension et la consolidation du pouvoir des comtes de Savoie dans nos petites provinces de Bresse et du Bugey. Du mariage d’Amédée IV avec Sibylle, héritière des sires de Beaugé, naquit Édouard, qui fut aussi comte de Savoie, épousa Blanche de Bourgogne, et qui, à défaut d’héritier direct, laissa les comtés de Savoie et de Bresse à son frère cadet, nommé Émond. Celui-ci épousa Yolande Paléologue, fille de Théodore, marquis de Montferrat. Leur fils aîné, Amédée ou Amé V, surnommé le comte Vert, vécut jusqu’en 1383 ; il ajouta à ses domaines héréditaires une partie notable du Bugey, acheta les biens des seigneurs de Coligny et de Montluel, la seigneurie de Mirbel et le pays de Gex, et obtint de l’empereur Henri IV d’ajouter à ses titres celui de comte du Bugey.

Amé VI ne régna que huit ans ; il mourut en 1391 des suites d’une blessure reçue en chassant le sanglier ; il avait épousé Bonne de Berry, petite-fille du roi Jean. Son fils, Amé VII, fut le premier duc de Savoie ; n’étant encore que comte, il avait acquis les fiefs de Thoiré et de Villars et était ainsi devenu le souverain de tout le territoire qui constitue aujourd’hui le département de l’Ain. C’est à lui que les habitants durent la concession des premières chartes communales et la rédaction des statuts qui régirent le pays jusqu’à la Révolution de 1789 sous le nom de coutumes et usages. Louis, son fils et son successeur, ne régna que cinq ans, de 1440 à 1445 ; de son union avec Anne de Lusignan, fille unique du dernier roi de Chypre, datent les droits de la maison de Savoie au royaume de Chypre.

Rien ne signale à l’intérêt historique de ce département le règne d’Amé VIII ; mais Amé IX, qui lui succéda, étant devenu veuf, et dégoûté de la vie agitée que lui faisaient les rivalités jalouses des princes ses voisins, embrassa l’état ecclésiastique ; il n’y rencontra pas davantage la tranquillité obscure qu’il cherchait. Il fut élu pape sous le nom de Félix V ; le schisme déchirait l’Église ; la lutte, les violences étaient trop éloignées de ses goûts pour qu’il ne s’empressât pas de déposer la tiare comme il avait résigné le sceptre ; il alla s’enfermer à Ripailles, nom prédestiné, où il mena une existence de doux loisirs et de pacifiques jouissances conformes à ses instincts, dont il eut le rare mérite d’avoir conscience. Une inscription qui fut placée au-dessus d’une des portes de Pérouges, et dans laquelle, à la naïve impatience des soucis de la guerre, à la latinité plus naïve encore, il serait peut-être permis de reconnaître l’esprit du bon duc lui-même, nous semble assez heureusement carac-