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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/213

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AISNE

exploita leur terreur à son profit, en offrant sa protection et l’hospitalité de ses domaines aux bourgeois qui voudraient fuir les vengeances du roi. Il ne resta en ville que ceux qui se sentaient le moins compromis ; pour ceux-là néanmoins, il n’y eut ni pardon ni pitié, et les vaincus de la veille exercèrent à froid, contre leurs vainqueurs repentants, des atrocités qui n’avaient plus même pour excuse le prétexte de la lutte et l’enivrement du combat. Cependant, longtemps contestée, attaquée par la ruse ou la violence des nobles et des évêques, la charte communale de Laon fut maintenue. Nous ne pouvons suivre ici toutes les vicissitudes de ses destinées : elle régit les droits de la ville jusqu’en mars 1332 et ne fut remplacée à cette époque que par une charte de Philippe de Valois, qui, en réalité, substituait l’autorité royale au pouvoir de l’évêque plus qu’elle n’amoindrissait les privilèges communaux. Condamné, par le cadre même qui nous est imposé, à ne pouvoir, pour ainsi dire, qu’énumérer les titres historiques des villes dont nous nous occupons, nous ne saurions, cependant, abandonner cette époque de ses annales sans donner un souvenir à la gloire de ses écoles qu’illustrèrent tant de savants, tant de prélats distingués, et d’où sortirent des ministres, des cardinaux et un pape qui régna sous le nom d’Urbain IV.

Peu de villes eurent des destinées aussi agitées que Laon. Un seul chiffre donnera une idée de ses vicissitudes : en 1418, ses remparts soutenaient leur trentième siège contre Jean sans Peur. La fidélité de ses habitants ne se démentit pas dans les longues luttes de la France contre les rois d’Angleterre et les ducs de Bourgogne ; c’est dans leurs murs que, après la défaite de Saint-Quentin et les désastres de Gravelines, l’armée française vint se rallier. L’excès du zèle religieux fit cependant dévier une fois les Laonnais de leur loyauté traditionnelle ; menacés par les calvinistes, ils se jetèrent dans la Ligue ; en 1589, le cardinal de Bourbon y fut reconnu roi sous le nom de Charles X, et des monnaies furent même frappées à son effigie.

Henri IV reprit la ville le 2 août 1594 et y pénétra par la cuve Saint-Vincent et la porte d’Ardon.

En 1673, Laon faillit avoir pour évêque le vertueux et vénérable Belsunce, qui venait de s’illustrer, pendant la peste de Marseille, par un dévouement héroïque. Il venait d’être appelé à ce siège en remplacement de Charles de Saint-Albin, promu à l’archevêché de Cambrai. Grande fut la joie des Laonnais à cette nouvelle, mais elle dura peu ; M. de Belsunce refusa, et l’on nomma à sa place Étienne-Joseph de La Fare, fils de l’aimable poète de ce nom. L’académicien Duclos, historiographe de France, a tracé un portrait peu favorable de ce prélat, dont la prodigalité était excessive, et qui mourut, dit-on, insolvable, ce qui lui valut cette maligne épitaphe, d’un de ses créanciers sans doute :

Ici git un prélat de prodigue mémoire,
Qui sans cesse empruntait et jamais ne rendit.
S’il est, Seigneur, dans votre gloire,
Ce ne peut être qu’à crédit.

Après le règne de Henri IV, les frontières de la France reculées, l’apaisement des rivalités féodales donnèrent à Laon paix et sécurité jusqu’aux invasions qui terminèrent le règne de Napoléon Ier. Les 9 et 10 mars 1814, l’empereur livra sous les murs de la ville un combat mémorable, à la suite duquel elle fut occupée par l’ennemi en 1815, Laon, quoique presque démantelée, soutint un siège de quatorze jours contre les armées étrangères.

Pendant la guerre de 1870-1871, le 4 septembre, un parlementaire prussien, précédant trois corps d’armée, somma la ville de se rendre. La reddition eut lieu le lendemain ; mais la place résistait encore, malgré la menace du prince de Mecklembourg-Schwerin de faire subir à la ville le sort de Strasbourg. Cependant, des pourparlers eurent lieu, et la citadelle capitula ; mais au moment où le prince et le général Thérémin, qui commandait à Laon, allaient signer la capitulation, la poudrière de la citadelle fit explosion. Il y eut un grand nombre de victimes, tant parmi les Prussiens que parmi les Français. Croyant à une trahison, le prince fit arrêter le préfet de l’Aisne (M. Ferrand) et parla d’exercer des représailles « dont on se souviendrait, disait-il, dans mille ans ; » mais on sut que cet acte était le fait isolé d’un vieux garde d’artillerie (Henriot) qui, dans un accès de désespoir, avait mis le feu aux poudres de la citadelle. Depuis nos revers, il vivait dans un état d’exaltation patriotique de nature à étonner ceux qui connaissaient son caractère froid et résolu. Les Prussiens se contentèrent d’occuper la ville.

Aujourd’hui, Laon, rendue à elle-même par la libération du territoire, a repris son calme et sa