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LII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

et de ses petits chiens ; dépensait 1,200,000 écus aux noces de Joyeuse, son favori, sans plus se soucier de la détresse du trésor public, et laissait sa noblesse se décimer dans ces duels innombrables qui firent périr alors autant de monde qu’une bataille.

L’homme qui devait à la fin demeurer maître du grand champ de bataille de nos guerres de religion apparut enfin. Henri, roi de Navarre, n’avait guère fait encore que l’amour aux dames, quand le duc d’Anjou mourut ; par cette mort, il devint héritier présomptif. « Ces passe-temps ne sont plus de saison, lui écrivit aussitôt Duplessis-Mornay ; il est temps que vous fassiez l’amour à la France. » Aussitôt Henri endosse la cuirasse, entre en campagne et mène la guerre avec sa vivacité béarnaise. Il débute par Coutras. Pendant ce temps, Henri III, bravé dans Paris par le duc de Guise, le fait assassiner à Blois, et soulève les effroyables fureurs de la Ligue, qui se venge par le poignard de Jacques Clément (1589).

Henri de Navarre devient de droit, sinon encore de fait, Henri IV de France. Arques, Ivry, la Satire Ménippée et une petite apostasie lui livrèrent Paris, qui valait bien une messe : « C’estoit le plus rusé et madré prince qu’il fust au monde, » dit d’Aubigné. La Ligue était vaincue sur tous les points ; le combat de Fontaine-Française et plus tard la prise d’Amiens rejetèrent hors de France les Espagnols, qui depuis vingt-cinq ans en étaient le fléau par leurs armes, leur or, et surtout leur fanatisme. Deux grands monuments de paix, conséquence de ces victoires, ouvrent le règne de Henri IV ; l’un était l’édit de Nantes, qui consacra la liberté de conscience et accorda même aux protestants certains avantages qui leur permirent de former un corps et une sorte d’État dans l’État ; l’autre est la paix de Vervins, qui stipula l’expulsion des étrangers (1598).



XVIIe SIÈCLE. LA ROYAUTÉ ABSOLUE

HENRI IV.

Ici s’ouvre un nouveau siècle. La royauté tout ébranlée va se raffermir, arriver à l’apogée de sa puissance et devenir tout à fait absolue. La France va se trouver encore plus forte qu’avant les guerres de religion ; elle terminera victorieusement la lutte contre la maison d’Autriche, et deviendra à son tour, par l’ambition de Louis XIV, le pays redouté de l’Europe, le pays contre lequel se formeront les coalitions. Ce grand drame en trois actes, qu’on peut intituler : Henri IV, Richelieu et Louis XIV, eut deux entr’actes, qui s’appellent la régence de Marie de Médicis et la Fronde.

En douze ans, Henri IV, secondé par l’habile et austère Sully, remit la France sur pied. Elle était bien maltraitée, cette pauvre France ; elle eût pu dire volontiers ce qu’écrivait son roi quelques années auparavant : « Mes pourpoints sont troués au coude et ma marmite est souvent renversée. » Il y avait trois cents millions de dettes, presque tout le domaine royal était aliéné. Ces maux furent réparés, et quarante millions mis en réserve à la Bastille. L’agriculture fut puissamment encouragée par Sully, qui disait : « Agriculture et pâturage sont les deux mamelles qui nourrissent la France. » Henri IV, lui, protégeait et suscitait l’industrie, que son ministre n’aimait pas. Celle des soies, celles des cristaux, des verres, des tapis, se développèrent avec éclat. Les communications se multipliaient : le canal de Briare était creusé et le plan de tous nos autres canaux conçu. Le peuple était heureux. Mais Henri IV voulait plus encore ; il voulait que non seulement la France, mais que toute l’Europe fût heureuse, qu’elle fût préservée à jamais des guerres et des conquêtes ; il voulait l’organiser en une sorte de grande république fédérative avec une diète commune pour juger les différends d’État à État. Il allait entrer en campagne pour mettre à exécution ce plan gigantesque, principalement dirigé contre la maison d’Autriche et l’Espagne, quand Ravaillac le frappa (1610). « Vous ne me connoissez pas, vous autres, disait-il peu de jours avant à quelques seigneurs ; mais je mourrai un de ces jours, et quand vous m’aurez perdu, vous connoîtrez lors ce que je valois, et la différence qu’il y a de moi aux autres hommes ! »

Arrive la régence de Marie de Médicis, et la France est au pillage. Les nobles, qu’une main ferme ne contient plus, se mutinent et obtiennent d’un gouvernement sans force des pensions, des provinces ; mouvements sans grandeur, tout égoïstes : au traité de Sainte-Menehould, Mayenne se fait donner trois cent mille livres pour se marier. Il ne manquait plus que d’obliger la France à doter à ce taux tous les nobles qui prendraient femme. Ils parlèrent bien un peu du peuple, ces seigneurs, par prétexte ; mais on vit aux états de 1614 ce qu’ils en pensaient, quand le député du tiers, ayant