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Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/70

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LVIII
LA FRANCE ILLUSTRÉE

était lasse de pouvoir absolu. Voltaire nous fait cette peinture des funérailles du grand roi : « J’ai vu de petites tentes dressées sur le chemin de Saint-Denis. On y buvait, on y chantait, on y riait. Le jésuite Le Tellier était la principale cause de cette joie universelle. J’entendis plusieurs spectateurs dire qu’il fallait mettre le feu aux maisons des jésuites avec les flambeaux qui éclairaient la pompe funèbre. »

Voilà le fardeau qui retombait sur un roi de cinq ans, et tout d’abord sur le régent, Philippe d’Orléans. Celui-ci avait beaucoup des qualités de Henri IV, mais bien plus de vices. Son précepteur, qui devint son premier ministre, avait été Dubois. « Dubois, dit Saint-Simon, estoit un petit homme maigre, effilé, à mine de fouine. Tous les vices, la perfidie, l’avarice, la débauche, l’ambition, la basse flatterie, combattoient en lui à qui demeureroit le maître. Il mentoit jusqu’à nier effrontément estant pris sur le fait. Il s’estoit accoutumé à un bégayement factice pour se donner le temps de pénétrer les autres... Une fumée de fausseté lui sortoit par tous les pores. »

Cet habile coquin faisait ce qu’il voulait du régent ; un matin, il vint le trouver : « Monseigneur, j’ai rêvé cette nuit que vous m’aviez fait archevêque de Cambrai. — Toi, archevêque ! drôle ! toi, coquin, toi, maraud, archevêque ! » La bourrasque passée, le régent ne put s’empêcher de rire de tant d’impudence, et la demande fut octroyée. Massillon et un autre évêque rendirent témoignage des bonnes mœurs du postulant (et c’était lui qui organisait les folies du Palais-Royal !) ; il reçut tous les ordres en un seul jour, et alla s’asseoir sur le siège épiscopal de Fénelon !

Ce gouvernement livra les finances à l’Écossais Law, dont le fameux système eût pu faire beaucoup de bien et fit beaucoup de mal. D’un autre côté, il jeta la France dans l’alliance anglaise quand même, et fit la guerre à l’Espagne, au petit-fils de Louis XIV. C’était bien la peine d’avoir fait la guerre de succession !

Le gouvernement du duc de Bourbon, qui vint ensuite, resta dans les mêmes errements. L’Angleterre y gagna beaucoup ; mais la France n’en retira que de la honte.

Louis XV avait alors pour précepteur un vieil évêque, bonhomme septuagénaire, tranquille, modeste ; on l’eût jugé sage entre les sages : c’était un ambitieux ; il arriva au pouvoir comme une taupe, par-dessous. Nous parlons du cardinal de Fleury.

Il gouverna économiquement la France pendant dix-sept ans. Mais il laissa tomber la marine et n’eut en Europe qu’une attitude pitoyable. Il laissa ravir la succession du trône de Pologne à Stanislas Leczinski, le père de la reine de France.

Notre ambassadeur à Copenhague, le comte de Plélo, ne put être témoin de cette honte et s’alla faire tuer à Dantzig. Fleury voulait la paix à tout prix, et son ministère finit au milieu de la guerre. C’était celle de la succession d’Autriche. Cette guerre fut mesquinement commencée du côté de la France ; il n’y eut de grand que l’héroïsme de nos soldats, dignes pères des soldats de la République. Au siège de Prague, avant de donner l’assaut, Chevert leur dit : « Mes amis, vous êtes tous braves, mais il me faut ici un brave à trois poils. Le voilà, ajouta-t-il en se tournant vers le sergent Pascal. Tu vas monter le premier. — Oui, mon colonel. — La sentinelle criera : « Qui va là ? » Ne réponds rien. — Oui, mon colonel. — Elle tirera sur toi et te manquera. — Oui, mon colonel. — Tu la tueras. — Oui, mon colonel. — Et je suis là pour te soutenir. » Ce dialogue fut exécuté de point en point, et Prague fut prise. La plus grande bataille de cette guerre fut celle de Fontenoy. Tout le monde sait avec quelle courtoisie elle fut engagée. Arrivés à cinquante pas des Français, les officiers anglais saluent. Les officiers des gardes françaises saluent à leur tour. Milord Hay crie : « Messieurs des gardes françaises, tirez. » Le comte d’Hauteroche répond : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers, tirez vous-mêmes. » Les Anglais tirent et le feu commence. Louis XV assistait à cette bataille, que Maurice de Saxe gagna. Les victoires de Raucoux et de Lawfeld ajoutées à celles-là et les succès de Dupleix dans l’Inde amenèrent la paix d’Aix-la-Chapelle (1748). La France ne gagna rien, malgré tous ses succès. « Je ne fais pas la guerre en marchand, mais en roi, » disait Louis XV. Belle parole, mais vaine et creuse !

La guerre de Sept ans ans fut plus désastreuse. Ce n’est pas qu’il n’y ait eu encore des actions à notre avantage, comme celles d’Hastembeek, de Clostersevern, de Lutterbourg, de Bergen, de Clostercamp, où d’Assas sauva l’armée en sacrifiant sa vie. Mais le désastre de Rosbach eut un retentissement funeste. Soubise, aussi malheureux que