Page:Malte-Brun - la France illustrée tome I.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LX
LA FRANCE ILLUSTRÉE

amena aussi sa chute avec un bon mot. Necker avait publié le compte rendu de l’état des finances dans une brochure couverte de papier bleu. « Avez-vous lu le conte bleu ? » demanda partout Maurepas. Le mot fit fortune et suffit dans une cour futile pour perdre un bon ministre. Louis XVI n’eut pas l’énergie de le maintenir. Quand ce bon roi suspendait ses philippiques contre les lapins, il prenait grand plaisir à faire de la serrurerie et à tracer des cartes de géographie. C’est vers ce temps qu’il laissa prendre à Marie-Antoinette cet empire qui fut si fatal à la monarchie. Cette reine, belle, mais fière et hautaine, d’ailleurs étrangère et imbue des maximes absolues de la cour de Vienne, porta malheur à son époux ; mais, en le perdant, elle se perdit elle-même. C’est elle qui fit arriver au ministère Calonne et Brienne, deux courtisans sans conscience, qui gâtèrent encore plus les affaires. Il fallut rappeler Necker, et Necker convoqua les états généraux (septembre 1789.)



RÉVOLUTION FRANÇAISE.

ASSEMBLÉES CONSTITUANTE ET LÉGISLATIVE.

« Qu’est-ce que le tiers état ? — La Nation. — Qu’est-il ? — Rien. — Que doit-il être ? — Tout. » C’est ainsi que Sieyès, dans une fameuse brochure, résumait la question politique. Il y avait tant de vérité dans ces paroles que le gouvernement lui-même avait jugé à propos de doubler la représentation du tiers état. L’ouverture des états généraux se fit le 5 mai 1789, à Versailles. Le tiers invite les deux autres à se réunir à lui : sur leur refus, il se proclame Assemblée nationale ; mais la cour fait fermer violemment la salle des états. Alors le tiers s’assemble dans la salle du Jeu de paume et jure de ne se séparer qu’après avoir voté la constitution. C’est de ce patriotique serment que date la France nouvelle. Bientôt noblesse et clergé, obligés de céder, viennent se réunir au troisième ordre. Qu’on se souvienne des états généraux de 1614, les derniers avant ceux de 1789 ; qu’on se rappelle l’orateur du tiers état parlant à genoux, et les nobles traitant de valets les roturiers, et qu’on juge du progrès qui s’était accompli.

Cependant la cour assemblait des troupes et méditait d’employer la force. Le peuple de Paris la prévint, et, dans l’immortelle journée du 14 juillet, enleva et rasa la Bastille, la vieille forteresse de la royauté. C’est ainsi qu’il sanctionna les actes de l’assemblée. À la nouvelle de cette révolution, toute l’Europe tressaillit. « Français, Russes, Danois, Allemands, Anglais, Hollandais, dit le comte de Ségur, alors ambassadeur à Saint-Pétersbourg, tous dans les rues se félicitaient, s’embrassaient comme si on les eût délivrés d’une chaîne trop lourde qui pesât sur eux. » Dès ce moment, l’impulsion est donnée : la Révolution marche à grands pas. La garde nationale est organisée à Paris. La Fayette lui donne la cocarde tricolore, qui, suivant sa prédiction, doit faire le tour du monde. Pour se réconcilier avec cette Révolution qu’ils ont d’abord combattue, les nobles, dans la nuit du 4 août, sacrifient leurs privilèges sur l’autel de la patrie. Après l’enthousiasme viennent les défiances : le peuple et la cour s’observent. Dans un repas qui a lieu à Versailles, la cocarde nationale est insultée et foulée aux pieds par des gardes du corps sous les yeux de la reine et des princes. Aussitôt des bandes armées de piques se rendent à Versailles, envahissent le château et ramènent à Paris le roi et la reine. (Journées des 5 et 6 octobre.)

Pendant deux années, l’Assemblée constituante poursuivit ses grands travaux. Le pouvoir législatif retiré à royauté, le roi réduit à une liste civile, la liberté des cultes et de la presse, l’égalité devant la loi, le partage égal des biens entre les enfants, le chaos de nos quatre cents coutumes faisant place à un code unique pour tout le royaume, les divisions provinciales, souvenir de la féodalité, supprimées et remplacées par la division en départements, les biens du clergé déclarés biens nationaux, et la création d’assignats hypothéqués sur ces biens, tels furent les principaux actes de la Constituante. Quand elle se retira, la sérénité du début de la Révolution avait déjà fait place aux défiances et aux haines. Le roi, en essayant la fuite de Varennes, avait lui-même dénoncé au peuple ses intentions contre-révolutionnaires et ses relations avec l’étranger, et, le 17 juillet 1791, le sang qui avait coulé au Champ-de-Mars avait amené une scission entre les révolutionnaires modérés et les révolutionnaires ardents.

L’Assemblée législative commença ses séances le 1er octobre 1791. Les membres de la Constituante s’en étaient volontairement exclus d’avance. La nouvelle Assemblée, dominée par les girondins, se montra faible et indécise, et laissa échapper de ses mains la direction de la Révolution, que saisi-