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Page:Mandat-Grancey Chicago 1898.djvu/4

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cesse plus forte à une intensité de travail dont la volonté américaine offre seule l’exemple. On commença par défricher les forêts, et presque en même temps on construisit de vastes scieries mécaniques pour débiter les bois des différentes essences. La forêt dérodée, écobuée, on mit le sol en culture ; les plaines de l’Illinois donnèrent en céréales des rendements fabuleux ; la grande culture développa l’élève du bétail, et les immenses troupeaux de bœufs et de porcs furent utilisés non seulement pour l’alimentation de toute la région, mais pour l’exportation sous forme de salaisons. Des affaires colossales, des fortunes non moins gigantesques firent de Chicago un centre d’activité et de spéculation qui n’avait d’égal dans le nouveau monde que New-York. La Reine de l’Ouest ou la Reine des Lacs, comme on l’appelle aujourd’hui, est, malgré sa jeunesse, malgré l’incendie de 1871 qui la détruisit, la seconde ville d’Amérique, la septième de l’univers. Elle a 250 hôtels, 531 journaux, 221 écoles, de belles avenues qui s’échelonnent le long du Michigan et sont bordées de villas et de jardins, elle est entourée d’une ceinture de boulevards et de parcs qui couvrent 800 hectares, mais ce qui fait surtout sa grandeur, c’est sa richesse industrielle et commerciale, dont les Armour, les Pullman, les Marshall Field, prouvent la puissance.

II

Chicago surpassait, en 1871, avant l’incendie, New-York en mouvement. Des deux rivales de l’Ouest américain, elle était la plus ardente à marcher de l’avant. « En comparaison de Chicago, écrivait à cette époque un témoin oculaire, New-York est une ville immobile, stagnante. » Quand le baron de Mandat-Grancey la visita en 1884, elle avait déjà, en ces douze ou treize années, reprit tout son aspect florissant, et depuis lors sa prospérité n’a fait que grandir. La raison principale de cet essor merveilleux, c’est que Chicago est le principal point d’arrêt entre New-York et San-Francisco, et ainsi s’explique cette population énorme affluant dans les rues bordées de maisons hautes de quinze à dix-huit étages, cette tension sans relâche des esprits toujours à l’affût des inventions nouvelles, cette fièvre qui, dans ce milieu en ébullition constante, est devenue telle, que la physionomie de cette cité, peut-être unique, dédaignant d’être capitale, mais fière de se dire reine, tient à la fois du rêve et du cauchemar. Cette physionomie, M. de Mandat-Grancey l’a saisie avec un remarquable talent-d’observation. Les pages qu’on lira plus loin, et qui sont empruntées à un des volumes de ce charmant écrivain, causeur exquis et narrateur captivant, ne perdent rien comme actualité, quoiqu’elles datent d’un peu loin. Elles ont même l’avantage de nous présenter le tableau de Chicago à une époque où la foire universelle (World Fair)[1] n’y battait pas son plein, époque semblable à celle du présent, et remettant sous les yeux la vraie Reine des Lacs avec ses embellissements acquis et ceux qu’elle projette.

Charles Simond.
  1. La World Fair, l’Exposition universelle de 1893 à Chicago, n’obtint pas le résultat que l’on en attendait. Voir le rapport fait sur cette exposition à la Chambre de commerce de Paris par M. Ernest Lourdelet (1893). Voir aussi G. Sauvin, Autour de Chicago, Notes sur les États-Unis (1893).