Aller au contenu

Page:Mandat-Grancey La brèche aux buffles - 1889.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
la brèche aux buffles.

leur tour pour embarquer, il y avait soixante-huit paysans ; je causai avec eux. Ils venaient tous du même canton[1] de la Loire-Inférieure. C’étaient des ouvriers agricoles ou de petits propriétaires qui ne pouvaient plus vivre en France. L’un d’eux, qui avait quatre enfants, avait gagné en moyenne dix sols par jour pendant les quatre derniers mois ! Ils partaient pour le Canada. Six cents autres, du même canton, devaient les suivre dans le courant de l’été. Nos journaux s’apitoient toujours sur le sort des malheureux fermiers irlandais, chassés par des landlords sans entrailles. Ce qui obligeait ceux-là à quitter leur pays, c’est que là-bas, aux Indes, il y a des hommes qui peuvent travailler pour cinq sols par jour, parce que le climat leur permet d’aller tout nus et de vivre d’une poignée de riz, et que, par conséquent, ils peuvent fournir leurs denrées à ceux qui en ont besoin, à meilleur marché que tous ces pauvres diables qui sont des hommes comme nous.

Leur curé les avait accompagnés. C’est lui qui était chargé d’administrer les fonds mis en commun pour le voyage, que le gouvernement canadien défrayait d’ailleurs en partie. Le matin du départ, il leur dit la messe. J’aurais voulu y aller, je ne le pus malheureusement pas. Une personne de la ville qui y a assisté m’a conté ce qu’elle a vu. Parmi les émigrants, il y avait beaucoup de femmes et d’enfants. Il y avait notamment une pauvre vieille de soixante-seize ans ! Tout ce monde pleurait à chaudes larmes. Le curé, lui-même très ému, leur adressa quelques paroles. On lui a peut-être déjà retiré son traitement. En tout cas, le gou-

  1. Saint-Mars-la-Jaille. Le même bateau emmenait également trois ou quatre familles de petits propriétaires de la Vienne, je crois.