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ÉTUDE SUR

terre, appuyée sur sa consonne double et allongée par la muette qui suit, portant en outre l’accent tonique, doit se détacher fortement dans la prononciation, qui effleurera la seconde syllabe à peine, mais assez cependant pour qu’une oreille exercée saisisse dans ce mot la valeur prosodique de deux temps On fera aussi légèrement sentir la syllabe muette qui est la seconde du mot « mouvementée », mais celle-ci, n’allongeant que faiblement la syllabe qui la précède et qui n’a pas l’accent tonique, disparaîtra comme un soupir dans le mot où elle est enclavée, sans obliger l’oreille à la compter pour une valeur déterminée.

Cette prononciation, qui glisse sur les syllabes muettes sans les frapper, mais en les effleurant, est celle dont se servent, dans la conversation, les gens cultivés, et je suppose que c’est celle de Paul Fort ; car lorsqu’il veut que, devant des consonnes, on élide absolument ses muettes, il les supprime de la graphie, à la manière des chansonniers populaires. Mais il n’emploie cette licence que pour figurer le langage du peuple, comme dans le livre L’Amour marin, comme dans cette ballade charmante et si souvent citée de son premier livre :

Si toutes les filles du monde voulaient s’donner la main
tout autour de la mer elles pourraient faire une ronde.

Si tous les gars du monde voulaient bien êtr’ marins,
ils f’raient avec leurs barques un joli pont sur l’onde.
 
Alors on pourrait faire une ronde autour du monde, si
tous les gens du monde voulaient s’ donner la main.


En résumé, chez Paul Fort, de même que chez quelques autres poètes contemporains, qui cherchèrent à renouveler la prosodie, la muette a une valeur qualitative et graduée, et non quantitative et fixe. Il est difficile qu’il n’y ait pas un peu de flottement dans l’évaluation de cette valeur, qui varie selon la place de la muette dans le mot et dans la phrase rythmée. Par exemple, lorsqu’une muette tombe au bout d’un hémistiche, Paul Fort ne la compte pas. Je reconnais que le lecteur sera parfois obligé de tâtonner une seconde, pour trouver la scansion voulue par le poète. Mais peut-être n’est-il pas inutile, à ce propos, de faire remarquer que, si notre prosodie traditionnelle est basée sur la fixité rigide du nombre des syllabes, d’autres idiomes laissent à beaucoup de leurs vocables la faculté de se contracter ou de se distendre suivant les mouvements du rythme. C’est ainsi que, sans parler des