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LETTRES DE JEUNESSE.

diminuait au fur et à mesure que nous montions ; nous trouvions dans les rochers de grands monceaux de neige toute gelée.

Nous avions faim ; nous nous arrêtâmes à une demi-heure du sommet, et fîmes grand feu. — C… avait un fusil, l’autre jeune homme avait un pistolet ; ils tirèrent des salves en mon honneur, et j’inaugurai mon 13 juillet[1] au milieu des coups de fusil, ou de pistolet, parmi les sapins, la neige et les nuages, à 2000 mètres au-dessus du sol. — Le feu de sapins flambait ; C… se mit à chasser, et tua quelques alpins (oiseaux fort rares et délicats) dans les rochers d’alentour. — Pendant ce temps, nous apprêtâmes le repas ; le guide alla chercher de l’eau à une source assez éloignée. — Bien reposés, nous montâmes au sommet ; c’est une longue crête, qui n’a guère plus de huit ou dix pieds de large ; elle est bordée par le plus effrayant précipice ; le roc est droit comme un mur ; et quand nous y jetions de grosses pierres, nous n’entendions pas le choc au fond.

Ce qui augmentait l’horreur de ces lieux, c’est que les nuages s’étaient élevés et nous entouraient de toutes parts ; on ne se voyait pas à quinze pas ; — nous avions un sifflet pour nous appeler. Sur la pointe de rocher où nous étions, de quelque côté que nous jetions les yeux autour et au-dessous de nous, c’était le vide, l’obscurité nuageuse. — La terre avait disparu. Rien qui rappelât l’homme. Nous étions séparés du monde ; nous semblions voyager dans l’atmosphère, sur un gros caillou. — Assis au pied d’un monceau de pierres, nous laissâmes passer les nuages ; j’essayai de dormir, mais j’avais trop froid.

  1. C’était le jour anniversaire de sa naissance.