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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

cette proposition : « Il fait jour,  » soit un bien ; et celle-ci : « Il fait nuit,  » un mal ; et cette autre : « Trois font quatre,  » le plus grand des maux. Que dit-on donc ? Que savoir est un bien, que se tromper est un mal ; de telle façon qu’il y a un bien relatif à l’erreur même, le fait de savoir qu’elle est une erreur.

Il faudrait qu’il en fût de même pour les choses pratiques. « La santé est-elle un bien ? La maladie est-elle un mal ? » Non, mortel ! « Qu’est-ce qui est donc un bien ou un mal ? » User bien de la santé est un bien ; en mal user, est un mal ; de sorte qu’il y a un profit à tirer même de la maladie. Et par le ciel, n’y en a-t-il pas un à tirer de la mort ? un à tirer de la privation d’un membre ? Crois-tu que la mort ait été un petit profit pour Ménœcée ? Et celui qui est de notre avis ne peut-il pas, lui aussi, tirer de la mort un profit semblable à celui qu’en a tiré Ménœcée ? O homme, n’a-t-il pas sauvé ainsi son patriotisme ? sa grandeur d’âme ? sa loyauté ? sa générosité ? En vivant, ne les eût-il pas perdus ? N’aurait-il pas eu leurs contraires en partage ? la lâcheté ? le manque de cœur ? la haine de la patrie ? l’amour de la vie ? Eh bien ! te semble-t-il qu’il ait peu gagné à mourir ? Non, n’est-ce pas ? Et le père d’Admète, a-t-il beaucoup gagné à vivre si lâche et si misérable ? N’a-t-il pas fini par mourir ? Cessez donc, par tous les Dieux, d’admirer ce qui n’est que la matière de nos actes ; cessez de vous faire vous-mêmes esclaves, des choses d’abord, puis, pour l’amour d’elles, des hommes qui peuvent vous les donner ou vous les enlever.

— Ne peut-on donc en tirer profit ? — On peut tirer profit de tout. — Même de l’homme qui nous injurie ? — Est-ce que celui qui exerce l’athlète ne lui est pas utile ? — Très utile. — Eh bien ! cet homme qui m’injurie, m’exerce, lui aussi ; il m’exerce à la patience, au calme, à la douceur. Cela ne serait-il pas vrai ? Et, tandis que celui qui me saisit par le cou, qui place comme il convient mes hanches et mes épaules, m’est utile ; tandis que mon maître de gymnastique fait bien de me dire : « Enlève ce pilon des deux mains ; » tandis que, plus ce pilon est lourd, mieux il vaut pour moi, faudrait-il dire que celui qui m’exerce, à être calme ne m’est pas utile ? Ce serait ne pas savoir tirer parti des hommes. Mon voisin est-il méchant ? C’est pour