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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

que tu n’as pas digéré[1]. Et si on te dit que tu ne sais rien, et que tu ne t’en piques pas, sache alors que tu as déjà mis la main à l’œuvre de la sagesse. Car les brebis ne vont pas montrer aux bergers combien elles ont mangé d’herbe ; mais, après avoir au dedans digéré leur pâture, elles produisent au dehors laines et lait. Toi aussi, devant le vulgaire, n’expose pas les préceptes, mais, après les avoir digérés, les œuvres qui en naissent[2].


XLVII

être austère, sans s’en vanter.


Si tu as réglé avec frugalité tout ce qui concerne le corps, ne t’en vante point ; et si tu bois de l’eau, ne dis pas à tout propos : je bois de l’eau. Veux-tu parfois t’exercer à la peine ? que ce soit pour toi-même, non pour les autres. N’embrasse point les statues[3], mais quand tu as une soif ardente, prends de

  1. Sénèque (Epist. 103) : Multis fuit periculi causa, insolenter tractata et contumaciter. Vitia sibi detrabat, non alii exprobret : non abborreat a publicis moribus. — Concoquamus illa : alioqui in memoriam ibunt, non in ingenium (84.)
  2. « Épictète, dit Pascal (Entretien avec de Saci) montre en mille manières ce que l’homme doit faire. Il veut qu’il soit humble, qu’il cache ses bonnes résolutions, surtout dans les commencements, et qu’il les accomplisse en secret ; rien ne les ruine davantage que de les produire. » — V. les Éclaircissements.
  3. « N’embrasse point les statues. » Les commentateurs se sont efforcés en vain de comprendre le sens de cette phrase. Chacun a donné son explication également fausse. Le sens apparaît pourtant clairement quand on compare ce passage avec un passage analogue des Entretiens : « Il ne faut nous exercer à rien qui soit extraordinaire et contre nature.... Il est difficile, en effet, de danser sur la corde ; et non-seulement cela est difficile, mais cela est encore dangereux. Est-ce une raison cependant pour que nous aussi nous apprenions à danser sur la corde, à y élever en l’air une branche de palmier, à y tenir embrassées des statues ? »