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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

qui est en lui, et se jette-t-il en avant pour le troupeau tout entier ? Il est évident que dès le premier instant, avec la force dont il est doué, se trouve en lui le sentiment de cette force. Eh bien ! de même chez nous, nul de ceux qui seront ainsi doués ne restera sans le savoir. Mais ce n’est pas en un jour que se fait le taureau, non plus que l’homme d’élite ; il faut s’exercer et se former à grand’peine, et non pas s’élancer à l’étourdie vers ce qui n’est pas de notre compétence.

Vois seulement à quel prix tu vends ton libre arbitre[1]. Au moins, mon ami, vends-le cher. — « Ce prix élevé et exceptionnel convient peut-être à d’autres (diras-tu), à Socrate et à ceux qui lui ressemblent ? — Mais pourquoi donc, puisque nous naissons tous semblables à lui, un si petit nombre, plus tard, lui sont-ils semblables ? — Tous les chevaux (objectes-tu) deviennent-ils donc rapides, et tous les limiers bons chasseurs ? — Eh bien ! parce que je suis d’une nature ingrate, faut-il me refuser à tout effort ? à Dieu ne plaise ! »

V

Quelles conclusions peut-on tirer de ce que Dieu est le père des hommes ?

Si on pouvait partager, autant qu’on le doit, cette croyance, que nous sommes tous enfants de Dieu au premier chef, que Dieu est le père des hommes et des divinités, jamais, je pense, on n’aurait de soi des idées qui nous amoindrissent ou nous rapetissent. Quoi, si César t’adoptait, personne ne pourrait supporter ton orgueil ; et quand tu sais que tu es fils de Dieu, tu ne t’en enorgueilliras pas ! Nous ne le faisons guère aujourd’hui ! Bien loin de là : comme à notre naissance deux choses ont été unies en nous, le corps qui nous est commun avec les animaux, la raison et le jugement qui nous sont communs avec les dieux, une partie d’entre nous se tournent vers cette funeste parenté de mort, très-peu vers cette bienheureuse

  1. V. le Manuel, ch. xxv.