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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

pour moi, c’est de dormir.[1] » Mais quel rapport y a-t-il entre les occupations de ces gens-là et celles qui devraient être les nôtres ? Il n’y en a pas. Que font-ils autre chose, en effet, que de calculer toute la journée, de discuter, de délibérer sur des mesures de blé, sur des champs, et sur des revenus du même genre ? Est-ce donc la même chose de recevoir et lire ce billet de quelqu’un : « Je te prie de m’autoriser à exporter une certaine quantité de blé, » ou (de recevoir et lire) celui-ci : « Je t’engage à examiner, d’après Chrysippe, de quelle façon le monde est gouverné, et quelle place y tient l’être doué de vie et de raison. Examine aussi qui tu es, et quel est ton bien et ton mal ? » Est-ce que ces choses-là se ressemblent ? Est-ce qu’elles demandent qu’on s’y attache également ? Est-ce qu’il est aussi honteux de négliger celles-là que celles-ci ?

Maintenant, est-ce précisément nous qui sommes les paresseux et les endormis ? non, c’est bien plutôt vous, jeunes gens. Nous, vieillards, quand nous voyons jouer des jeunes gens, nous nous sentons pris du désir de jouer nous aussi. A plus forte raison, si je vous voyais éveillés et animés au travail, je me sentirais animé moi aussi à travailler avec vous.

XII

De l’amour des siens.

Un magistrat était venu trouver Épictète ; après l’avoir interrogé sur quelques points particuliers, celui-ci lui demanda s’il avait des enfants et une femme. Oui, dit l’autre. — « Comment t’en trouves-tu ? lui demanda-t-il encore. — Assez mal. — Et comment cela ? Car ce n’est pas pour être malheureux que l’on se marie et que l’on a des enfants, mais bien plutôt pour être heureux. — Eh bien, moi, dit cet homme, je suis si malheureux dans mes enfants, qu’il y a peu de jours, ayant ma fille malade et

  1. Il n’y a qu’une manière, ce me semble, d’entendre ce passage, c’est que ces choses qu’Epictète avait à relire sont les compositions de ses élèves, qu’il devait corriger, pour ainsi dire, avant qu’ils n’en fissent la lecture publique (Note du traducteur).