sans pour cela souffrir de la tête, des yeux ou de la hanche, et aussi sans perdre notre champ. Or, nous ne voulons rien posséder que ces choses-là !
XXXV
Quel est le commencement de la philosophie ? — Nous avons tous des notions naturelles du bien et du mal ; ce qui nous manque, c’est de savoir appliquer ces notions. — La balance du philosophe.
Le commencement de la philosophie, chez ceux du moins qui s’y attachent comme il convient et en chasseurs sérieux, est le sentiment de notre infirmité et de notre faiblesse dans les choses indispensables.
Nous venons au monde sans avoir naturellement aucune notion du triangle rectangle, du dièse ou des demi-tons ; chacune de ces choses ne s’apprend que par la transmission de la science ; aussi ceux qui ne les savent pas ne croient-ils pas les savoir. Mais quant au bien et au mal, à la beauté et à la laideur, à ce que nous devons faire ou ne pas faire, qu’est-ce qui est venu au monde sans en avoir en lui la notion ? Aussi tout le monde se sert-il de ces termes, et essaie-t-il d’appliquer ces notions premières aux faits particuliers. « Un tel a bien agi. C’était son devoir. — C’était contre son devoir. — Il a été heureux. — Il a été malheureux. — Il est injuste. — Il est juste. » Qui de nous s’abstient de ces façons de parler ? « Pourquoi en effet, dit-on, ne me connaîtrais-je pas au beau et au bien ? N’en ai-je donc point les notions ?» — Tu les as. — « Est-ce que je ne les applique pas aux faits particuliers ? » — Tu les appliques. — « Est-ce que je ne les applique pas bien ? » — Toute ta question est là.
Tous les hommes sont d’accord sur ces notions premières, qui sont leur point de départ ; mais ils arrivent à des conclusions douteuses parce qu’ils ne les appliquent pas bien. Si, avec ces notions elles-mêmes, on avait en plus le talent de les appliquer, qu’est-ce qui empêcherait d’être parfait ?
Le commencement de la philosophie, c’est de s’apercevoir des contradictions qui existent entre les hommes, d’en