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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

XL

Nous ne nous préparons pas aux jugements que nous portons sur les choses bonnes et mauvaises. — Le joueur de harpe. — Ce dont il faut avoir peur. — Hercule. — Les monstres que chacun de nous porte en lui-même.

Où est le bien ? Dans notre libre arbitre. Où est le mal ? Dans notre libre arbitre. Quelles sont les choses indifférentes ? Celles qui ne relèvent point de notre libre arbitre. Mais quoi ! hors de l’école, est-il quelqu’un qui se souvienne de ces principes ? Est-il quelqu’un qui se prépare à répondre d’après ce système aux questions que lui posent les choses, comme on répond aux interrogations ? « Est-il jour ? — Oui. — Eh bien ! est-il nuit ? — Non. — Eh bien ! les astres sont-ils en nombre pair ? – Je n’en sais rien. » Quand de l’argent se présente à toi, es-tu préparé à répondre, comme tu le dois, que ce n’est pas un bien ? T’es-tu exercé à ces réponses ? Ou ne t’es-tu exercé qu’aux discussions de l’école ? Pourquoi donc t’étonner de te surpasser toi-même dans les choses pour lesquelles tu t’es préparé, et de rester embarrassé dans celles pour lesquelles tu ne t’es pas préparé ?

C’est ainsi que le joueur de harpe qui sait jouer de la harpe, qui chante bien, et qui a une belle tunique, ne se présente pourtant qu’en tremblant à la foule. C’est qu’il sait son métier, mais qu’il ne sait pas ce que c’est que la foule, ce que sont ses clameurs, ce que sont ses moqueries. Il ne sait même pas ce que c’est que l’inquiétude ; si elle est l’œuvre d’autrui ou la nôtre ; si on peut ou non la faire cesser. Aussi, qu’on l’applaudisse, et il sort gonflé d’orgueil ; mais que l’on se moque de lui, c’est un ballon que l’on pique et qui s’aplatit.

Il en est à peu près de même de nous. De quoi faisons-nous cas ? Des choses extérieures. A quoi nous attachons-nous ? Aux choses extérieures. Qui donc, en se promenant, se préoccupe de sa manière de se promener ? Qui donc, quand il délibère avec lui-même, se préoccupe de sa délibération même, et non pas des moyens de réussir dans ce sur quoi il délibère ? S’il réussit, le voilà fier et il dit :