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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

faut pour l’atteindre, que nous manque-t-il encore ? Quand je vois un ouvrier avec ses matériaux près de lui, je n’attends plus que son ouvrage. Nous avons ici l’ouvrier et les matériaux ; que nous manque-t-il encore ? Est-ce que la chose ne peut pas s’apprendre ? Elle le peut. Est-ce qu’elle n’est pas en notre pouvoir ? Il n’y a qu’elle au monde qui y soit. Pourquoi donc notre œuvre ne s’achève-t-elle pas ? Dites-m’en la cause. Si elle ne s’achève pas, cela tient-il à moi, à vous, ou à la nature même de la chose ? La chose en elle-même est possible, et la seule qui soit en notre pouvoir. Il reste donc que cela tienne à moi ou à vous, ou, ce qui est plus exact, à moi et à vous. Eh bien ! voulez-vous que nous nous mettions à apporter ici la ferme intention de la faire ? Laissons là tout le passé, mettons-nous seulement à l’œuvre. Fiez-vous à moi, et vous verrez.

XLIV

Des choses dont on ne convient pas.

Il y a des choses dont les hommes conviennent facilement, et d’autres dont ils ne conviennent pas facilement. Personne ne conviendra qu’il manque d’intelligence ou de bon sens ; tout au contraire, vous entendrez dire à tout le monde : « Que n’ai-je autant de chance que j’ai d’intelligence ! » On convient aisément qu’on est timide, et l’on dit : « Je conviens que je suis trop timide ; mais, à part cela, ce n’est pas un sot que vous trouverez en moi. » On ne conviendra pas aisément que l’on manque d’empire sur soi-même ; on ne convient jamais que l’on soit injuste, non plus qu’envieux ou curieux ; mais presque tout le monde conviendra qu’il s’attendrit facilement. D’où cela vient-il ? Avant tout, d’un désaccord et d’un trouble dans nos opinions sur les biens et sur les maux ; puis de ceci pour les uns, de cela pour les autres. Presque jamais on ne convient de ce que l’on regarde comme une honte. Or, on regarde la timidité et la facilité à s’attendrir comme le fait d’une bonne âme ; la sottise, comme le pur fait d’un esclave. Quant aux actes qui attaquent la société, on ne