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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

quelle est-elle ? Vois quels sont ceux que tu loues lorsque tu loues impartialement. Sont-ce les hommes justes ou les hommes injustes ? — Les justes. — Les hommes chastes ou les libertins ? — Les hommes chastes. — Ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes ou ceux qui ne le sont pas ? — Ceux qui en sont maîtres. — Te rendre tel, sache-le donc, c’est te faire beau ; si tu y manques, tu serais laid inévitablement, alors même que tu emploierais tous les moyens pour être beau en apparence.

Je ne sais plus que te dire après cela ; car, si je te dis ce que je pense, je te fâcherai, et tu me quitteras, peut-être pour ne plus revenir ; et, si je ne te le dis pas, vois un peu ce que j’aurai fait : tu seras venu vers moi pour que je te serve à quelque chose, et je ne t’aurai servi à rien ; tu seras venu à moi comme à un philosophe, et je ne t’aurai pas parlé comme un philosophe. N’est-ce pas de la cruauté à ton égard que de te laisser sans te corriger ? Si plus tard tu devenais raisonnable, tu aurais le droit de me faire des reproches. « Qu’est-ce qu’Epictète a donc aperçu en moi (pourrais-tu dire), pour que, me voyant venir à lui tel que j’étais, il m’ait ainsi laissé avec mes défauts, sans jamais me dire même un seul mot ? A-t-il donc tant désespéré de moi ? N’étais-je pas jeune ? N’écoutais-je pas ce qu’on me disait ? »

Si tu me faisais ces reproches, que pourrais-je dire pour ma défense ? « Que, si j’avais parlé, tu n’aurais pas suivi mes avis ? » Mais est-ce que Laïus suivit ceux d’Apollon ? Est-ce que, en le quittant, il ne s’enivra pas, et n’envoya pas promener l’oracle ? Eh bien ! cela empêcha-t-il Apollon de lui dire la vérité ? Et certes, moi, je ne sais pas si tu suivras ou non mes avis, tandis qu’Apollon savait très-bien que Laïus ne suivrait pas les siens ; et il lui dit vrai, pourtant ! Et pourquoi le lui dit-il ? Mais pourquoi aussi est-il Apollon ? Pourquoi rend-il des oracles ? Pourquoi a-t-il pris pour lui ce rôle de prophète ? Pourquoi est-il une source de vérité, vers laquelle on se rend de toutes les parties de la terre habitée ? Pourquoi porte-t-il écrit sur le fronton de son temple : « Connais-toi toi-même ? » Ce que personne ne songe à faire.

Est-ce que Socrate persuadait à tous ceux qui venaient le trouver, de s’occuper d’eux-mêmes ? Pas à un sur mille.