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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

absorbé par le soin de ses malades, et par l’argent à gagner, A laisser tout le reste de côté, il lui faut au moins un vase, pour faire chauffer de l’eau à son enfant, et un bassin pour l’y laver ; il lui faut pour sa femme en couches de la laine, de l’huile, un lit, un gobelet ; voici déjà son bagage qui s’augmente ! Et je ne parle pas des autres occupations qui le distraient de son rôle. Que devient ainsi ce monarque, dont le temps est consacré à veiller sur l’humanité ?

Celui à qui les peuples ont été confiés, et qui s’occupe de si grandes choses ?

Celui qui doit surveiller tous les autres, époux et parents ? Celui qui doit voir quels sont ceux qui en usent bien ou mal avec leur femme, quels sont les gens qui sont en désaccord, quelles sont les familles heureuses ou en souffrance ? Celui qui doit aller partout, comme un médecin, tâtant le pouls de tout le monde ? « Toi, tu as la fièvre ; toi, tu as mal à la tête ; toi, tu as la goutte ; toi, ranime-toi ; toi, mange ; toi, ne te baigne point ; toi, il faut t’amputer ; toi, il faut te cautériser. » Comment peut-il avoir ce loisir, une fois enlacé dans les obligations des hommes ordinaires ? Ne faut-il pas qu’il donne des vêtements à ses enfants ? Ne faut-il pas qu’il les envoie à l’école, munis de tablettes, de poinçon, et de laine ? Ne faut-il pas qu’il prépare leur lit ? Car ce n’est pas en sortant du ventre de leur mère, qu’ils peuvent être des Cyniques. S’il ne faisait pas tout cela, mieux aurait valu les rejeter à leur naissance, que de les laisser ainsi périr. Vois à quoi nous abaissons le Cynique, et comment nous lui ôtons sa royauté. — Oui, mais Crates s’est marié. — Tu me cites un cas extraordinaire, où l’amour a tout fait, et une femme qui était un autre Crates. Nous discutons, nous, sur les mariages ordinaires et sans circonstances particulières ; et, en discutant ainsi, nous ne trouvons pas que, dans l’état actuel, le mariage soit une chose essentielle pour le Cynique.

— Comment donc, lui disait-on, contribuera-t-il à la conservation de la société ? — Au nom du ciel, répondait-il, qui sont les plus utiles à l’humanité, de ceux qui y introduisent à leur place deux ou trois marmots au vilain grouin, ou de ceux qui, dans la mesure de leurs forces, surveillent tous, les hommes, examinant ce qu’ils font, la