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EXTRAITS DES ENTRETIENS D’ÉPICTÈTE.

un dîner qu’il agit ainsi, mais encore lorsque c’est pour un gouvernement ou pour le consulat. Appelle petits esclaves ceux qui se conduisent ainsi pour un petit salaire ; mais ces autres, appelle-les de grands esclaves ; ils le méritent bien. — Soit pour ceci encore. — Crois-tu d’autre part que la liberté soit l’indépendance et la pleine disposition de soi-même ? — Comment non ? — Tous ceux donc aussi qu’il est au pouvoir d’un autre d’entraver ou de contraindre, dis hardiment qu’ils ne sont pas libres. Ne regarde pas aux pères et aux grands-pères, ne cherche pas si l’on a été acheté ou vendu ; mais dès que tu entendras quelqu’un dire, « maître, » sérieusement et de cœur, appelle-le esclave, alors même que douze faisceaux marcheraient devant lui. Plus simplement, qui que ce soit que tu voies pleurer, se plaindre, se trouver malheureux, appelle-le esclave, quand même il porterait la robe bordée de pourpre.

Alors même encore que l’on ne ferait rien de tout cela, ne dis pas qu’on est libre : examine auparavant les déterminations des gens ; vois s’il n’y a pour elles ni contrainte, ni empêchement, ni mauvais succès. Si tu trouves les gens dans ce cas, dis que ce sont des esclaves qui ont un jour de congé aux Saturnales ; dis que leur maître est en voyage ; mais il arrivera, et tu verras alors quelle est leur condition. Quel est donc ce maître qui doit arriver ? Tous ceux qui ont le pouvoir de leur procurer ou de leur enlever quelqu’un des objets qu’ils désirent. Avons-nous donc, en effet, tant de maîtres ? Oui, car avant ceux-là nous avons les objets mêmes pour maîtres ; dès que nous aimons, haïssons, ou redoutons ainsi quelque chose, tous ceux qui l’ont en leur pouvoir sont forcément nos maîtres, eux aussi. De là vient encore que nous les honorons comme des dieux. Nous croyons, en effet, que les choses les plus utiles sont aux mains des Dieux ; et nous ajoutons à tort : « Cet homme a dans ses mains les choses les plus utiles ; donc, il est un Dieu. » Une fois que nous avons ajouté à tort : « Cet homme a dans ses mains les choses les plus utiles, » il faut forcément en arriver à une conclusion fausse.

Qu’est-ce donc qui fait de l’homme un être sans entraves et maître de lui ? Ce n’est pas la richesse, ce n’est pas le