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EXTRAITS DE MARC-AURÈLE.

même : tu restes en deçà du possible. C’est que tu ne t’aimes pas toi-même, sinon tu aimerais ta nature et ce qu’elle veut. Oui, ceux qui aiment leur métier sèchent sur leurs ouvrages, oubliant le bain et la nourriture ; mais toi, tu fais moins de cas de ta propre nature que le ciseleur n’en fait de son art, le danseur de sa danse, l’avare de son argent, l’ambitieux de sa folle gloire. Eux, quand ils sont à l’œuvre, ils ont bien moins à cœur le manger ou le dormir que le progrès de ce qui les charme : les actions qui ont l’intérêt public pour but te paraissent-elles plus viles et moins dignes de tes soins ?

XVIII

Il y a tel qui, après avoir fait un plaisir à quelqu’un, se hâte de lui porter cette faveur en compte. Cet autre n’a point une précipitation pareille, mais il regarde l’obligé comme son débiteur, il a toujours présent à la pensée le service qu’il a rendu. Un troisième enfin ignore, si je puis dire, ce qu’il a fait… il est semblable à la vigne, qui porte son fruit, puis après ne demande plus rien, satisfaite d’avoir donné sa grappe. Faut-il donc être du nombre des gens qui ne savent pour ainsi dire pas ce qu’ils font ? Oui.

XIX

Telles seront tes pensées habituelles, tel sera ton esprit, car l’âme prend la teinture de nos pensées. Plonge-la donc sans cesse dans des pensées comme celle-ci : Là où l’on peut vivre, on y peut bien vivre.

XX

Le bien de l’être raisonnable est dans la société humaine, car il y a longtemps qu’on a démontré que nous sommes nés pour la société. N’est-il pas évident que les êtres inférieurs existent en vue des êtres supérieurs, que les êtres supérieurs existent les uns pour les autres ?