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LII
ÉTUDE

nitive plié devant la nécessité et la nature cette volonté qu’ils voulaient voir indépendante et sans loi imposée du dehors. Pour l’homme qui réclame contre quelque injustice de la nature et s’en indigne, ils n’ont qu’une réponse : « Cela est naturel. » C’est répondre par la question même. L’homme n’a-t-il pas le droit de s’élever au-dessus de la nature et de la juger ?

Sous ce rapport, l’optimisme stoïcien est jusqu’à un certain point un abaissement de la dignité et de la moralité humaine. « Tout ce qui arrive arrive justement[1] », dit Marc-Aurèle. « Ils tuent, ils massacrent, ils maudissent. Qu’y a-t-il là qui empêche ton âme de rester pure, sage, modérée, juste[2] ? » Il faut, d’après lui, se résigner à l’injustice des hommes comme à la pesanteur de la pierre ou à la légèreté de la flamme. De même, selon le maître de Marc-Aurèle, se plaindre de ce qui arrive naturellement, c’est une folie, bien plus c’est une faute. Nous ne devons pas, dit-il, nous opposer au torrent des choses, essayer de retenir ce qui y tombe, vouloir empêcher de mourir ceux que nous aimons, vouloir retarder notre propre mort : « Va-t’en…, dit-il durement à l’homme ; fais place à

  1. Marc-Aurèle, IV, x.
  2. Id., viii, 51.