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MANUEL D’ÉPICTÈTE.

chesses[1], peut-être n’obtiendras-tu même pas ces dernières pour avoir désiré les autres ; mais à coup sûr tu n’obtiendras pas les biens qui donnent seuls liberté et bonheur.

V. Aussitôt donc, devant toute imagination pénible, exerce-toi à dire : Tu es imagination et apparence, nullement l’objet que tu parais être. — Ensuite sonde-la, et juge-la avec les règles que tu possèdes : la première et la principale, c’est de voir s’il s’agit des choses qui dépendent de nous ou de celles qui n’en dépendent pas. S’agit-il de ces dernières, sois prêt à dire : Il n’y a rien là qui me regarde, moi[2].


II

Les choses qui ne dépendent pas de nous
ne sont ni à désirer ni à craindre.


I. Souviens-toi que ce qu’on se promet dans le désir, c’est d’obtenir l’objet désiré, ce qu’on se promet dans l’aversion, c’est d’éviter l’objet en aversion ; et celui

  1. Sorte d’éclectisme moral que cherchaient à pratiquer les épicuriens.
  2. « Il n’y a rien là qui me regarde » parce que, en dehors de notre libre-arbitre et de ses œuvres (τὰ προαιρετά), il n’y a rien de bon ni de mauvais, tout est indifférent. D’après les stoïciens, c’est notre liberté seule qui donne aux choses leur prix ; c’est nous-mêmes et nous seuls qui qualifions réellement les choses, qui rendons les unes bonnes, les autres mauvaises, par l’usage bon ou mauvais que nous en faisons. — Principe entièrement original, et très-riche en conséquences (v. l’introduction et les éclaircissements). — Mais le plus souvent, c’est notre imagination, la « folle du logis », qui prétend qualifier les choses, et elle le fait en prenant pour règle le plaisir ou la douleur sensibles. De là vient que la mort, l’exil, etc., nous apparaissent comme mauvais ; toute la faute en est à notre imagination. La raison, la redressant, doit dissiper ces apparences qui nous voilent les objets, ces opinions fausses qui nous les font craindre ou désirer, et, parvenant aux objets mêmes, leur assigner leur valeur d’après le secours ou l’obstacle qu’ils apportent à notre liberté (voir V, VI, X).