Page:Manuel d’Épictète, trad. Joly, 1915.djvu/11

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du langage est plus poétique, et si le mot de destinée ne disparaît pas, ni la chose non plus, du moins est-il plus souvent question de Providence. « C’est Dieu qui a réglé que, pour l’harmonie de l’univers, il y aurait des étés et des hivers…[1]. « Il faut louer la Providence de tout ce qui arrive dans le monde. « Si Jupiter envoie tels ou tels événements, il a aussi donné à l’homme toutes les forces nécessaires pour les supporter, et ces forces il les a données libres, indépendantes, affranchies de toute contrainte extérieure ; il les a mises à notre disposition complète, sans se réserver à lui-même la puissance de les entraver ou de leur faire obstacle[2]. »

En un mot, tout procède de Dieu, et la parenté qui unit l’homme à Dieu est la plus étroite de toutes, Mais est-ce seulement pour un temps que l’homme éprouve les effets de cette parenté ? et cette Providence lui réserve-t-elle autre chose que la jouissance de la vie actuelle ? Ici Épictète ne nous laisse malheureusement aucun doute. L’homme est destiné à mourir comme les épis à être coupés, comme les feuilles à tomber ; et cette mort est si naturelle, si nécessaire par conséquent, qu’il serait superflu, injuste même de rien rechercher au delà d’elle. Épictète, à la vérité, semble bien, en plusieurs circonstances, distinguer l’âme du corps, ce qui dirige de ce qui est dirigé, ce qui commande de ce qui obéit ; et il semble encore qu’à la mort les destinées de l’un et de l’autre lui apparaissent comme distinctes. — « On te jettera sans sépulture ! — J’y serai jeté en effet si mon cadavre est moi ; mais si je suis autre chose que mon cadavre, parle d’une façon plus juste, dis ce qui est réellement et ne cherche pas à me faire peur[3]. » Que devient donc ce quelque chose qui est autre que le cadavre ? Ici Épictète ne s’explique pas davantage ; mais il est évident qu’il avait retenu sur ce point, comme sur presque tous les autres, la vrai doctrine du stoïcisme. Les âmes sont des étincelles détachées du feu divin, des étincelles un peu plus riches que les autres ; elles ne périront pas : car en ce monde rien ne périt, la matière propre-

  1. Discours, I, 12.
  2. Discours, I, 6.
  3. Discours, IV, 7.