Page:Manuel d’Épictète, trad. Joly, 1915.djvu/7

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voulait se faire entendre de la populace, il était bon de parler grec[1]. L’empereur Marc-Aurèle aussi va écrire ses Pensées en grec, et bien d’autres se serviront de cette langue. Est-ce à dire, en ce qui concerne le stoïcisme, que cette vieille doctrine va revenir sur ses pas ? qu’elle va reprendre en sous-œuvre les grandes constructions scientifiques d’autrefois, les théories sur les éléments et les principes constitutifs du monde et les théories logiques qui avaient tant aiguisé la subtilité curieuse de la race grecque ? Non. La morale, qui était déjà dans les premiers stoïciens[2] le but par excellence de la philosophie, le terme en vue duquel étaient elles-mêmes disposées les études sur la physique et la logique, la morale tend de plus en plus à absorber la sagesse stoïcienne presque tout entière. La philosophie devient plus populaire : son enseignement est donc plutôt prédication que démonstration : elle offre moins d’abstractions, moins de système qu’autrefois, plus d’analyses intérieures, de casuistique, et peut-être faut-il dire, plus de rhétorique. Quant à la pensée, elle aussi a quelque peu changé ; deux caractères nouveaux la distinguent : moins d’orgueil et plus de mysticisme.

Autrefois, en effet, le Sage du Portique ne se proclamait pas seulement une portion de la Divinité, ce qui se concevait sans peine, puisque dans le stoïcisme, tant ancien que nouveau, Dieu et la nature ne font qu’un ; il insistait particulièrement sur ce point, que, dans le jeu des forces naturelles, dans le drame de l’univers, il jouait, pour ainsi dire, un rôle indépendant et un rôle de premier ordre. Mieux encore, il affirmait que le sage n’était pas moins nécessaire à Jupiter que Jupiter au sage : la suppression du sage n’aurait-elle pas diminué, altéré gravement cette raison et cette beauté souveraine qui, bien qu’appelée Dieu ou Jupiter, n’était autre chose que la vie totale du monde, comprise

  1. G. Boissier, Histoire de la Religion romaine d’Auguste aux Antonins.
  2. Nous supposons que les élèves qui nous lisent ont déjà quelques notions sur la philosophie stoïcienne en général. Ils peuvent, en tout cas, s’éclairer dans notre Cours de Philosophie et dans nos Études sur les Ouvrages philosophiques de l’Enseignement classique.