Page:Manuel d’Épictète, trad. Joly, 1915.djvu/75

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quelque principe de sagesse, garde le silence le plus possible : car il y a danger que tu rejettes un mets mal digéré 1. Si tu t’entends dire que tu ne sais rien, et que tu ne te sentes pas mordre par ce reproche, connais par là que tu commences à réussir. Quand les brebis ont mangé, elles ne vont pas montrer à leur berger l’herbe qu’elles ont prise ; mais, après avoir digéré leur pâture, elles produisent et elles montrent de la laine, du lait. Ainsi toi, n’étale pas de préceptes aux yeux des ignorants, mais montre-leur les effets que ces préceptes ont produits dans ta conduite.

XLVII.

Si tu sais te contenter de peu pour le soin de ton corps, n'en fais point parade ; si tu ne bois que de l’eau, ne t’en va pas dire en toute occasion que tu ne bois que de l’eau. Et si tu veux t’exercer à souffrir quoi que ce soit, fais-le pour toi, non pour les autres. Il est inutile d’aller embrasser les statues ? ; mais si tu es tourmenté par une soif brûlante, prends dans ta bouche un peu d’eau fraîche, et rejette-là, et n’en dis rien à personne 3.

XLVIII.

1. État et caractère de l’homme du commun : il n’attend jamais ni son bien ni son mal de lui-même, mais des choses extérieures. État et caractère du philosophe : il n’attend son bien ou son mal que de lui-même.

2. Signes auxquels on reconnaît celui qui avance dans la sagesse : il ne blâme personne, il ne loue personne, il n’accuse personne, il ne parle pas de lui, il ne s’attribue ni importance ni science. Est-il dans l’embarras, il ne s’en prend qu’à lui-même. Si on le loue, il se moque à part lui


2. Sous-entendu par le froid. Allusion à quelque philosophe qui, pour prouver son mépris de la douleur, s’en allait, par le froid, embrasser les statues de marbre.

3. En somme, pourtant, Épictète veut qu’on prêche d’exemple. Il est difficile de garder la mesure entre l’exemple et l’ostentation. Aussi les cyniques ne l’ont-ils pas observée.