Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/53

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d’une voix sifflante que Hans ne lui connaissait pas ; ses yeux luisaient de fièvre ; elle avait pâli, et ses mains frémissaient nerveusement.

Schwartzmann marmonna de vagues grognements à l’adresse de Fischer. Mais l’écrivain était un homme de sang-froid ; il ne broncha point à cette attaque imprévue ; jetant un coup d’œil rapide vers Hermann et Caroline qui se rejoignaient à quelques pas, il emmena Jacqueline d’un autre côté ; puis, lorsqu’il fut certain de n’être environné que de figures inconnues, il commença doucement :

— Chère Jacqueline, avant de vous rencontrer, je n’avais que l’amour de mon art ; et le souci de ma carrière ne m’avait pas laissé le loisir de m’occuper des femmes. Mon ami Fischer souhaitait instamment de me marier avec Caroline, quoique sa fortune lui permît de prétendre à un meilleur parti… Mais, dans notre pays, on ne songe pas à faire des mariages d’argent, comme c’est la coutume en France… Je me suis fiancé, pour être agréable à Fischer ; parce qu’il était temps de me créer un foyer et qu’aucune femme ne m’avait encore subjugué. Aujourd’hui, je vous aime… au point de manquer à ma parole envers Mlle Fischer. Je m’expliquerai avec Hermann… je me dégagerai…

— Allez le lui dire tout de suite : cria impétueusement Jacqueline.

— Ici !

Schwartzmann montrait, d’un geste large, la gare animée, le flot des voyageurs ; un convoi de jeunes soldats en permission qui se dépêchaient, avec un terrible bruit de godillots ; et, dominant cette rumeur, les locomotives alignées le long des quais et crachant leurs sifflements aigus.

En effet, l’endroit était peu propice pour une telle explication. Hans reprit :

— Dès que nous serons rentrés à Berlin…

Jacqueline l’interrompit violemment :

— Je ne veux plus que vous partiez avec eux, maintenant ! Restez.

— Vous n’êtes pas raisonnable. Que signifient ces exigences ?… Vous savez que des affaires urgentes nécessitent impérieusement mon retour. Votre jalousie est absurde : je n’aime pas Caroline.

Jacqueline évoqua la grosse fille molle au profil de brebis ; non, il ne pouvait pas l’aimer.

Schwartzmann insistait tendrement, insidieusement :

— C’est vous que j’aime… pour toujours. Vous n’avez donc pas confiance en moi ?

Soudain, Jacqueline aperçut son image dans la glace d’un distributeur automatique : cette blonde exquise dont les yeux gris brillaient comme deux gouttes d’eau claire, dont les lèvres s’entr’ouvraient spirituellement sous un petit nez de Célimène ; cette blonde-là était de celles qui triomphent, et qui peuvent affronter l’absence sans redouter l’oubli. D’ailleurs, pour quelle raison Hans l’eût-il abusée ? À quel propos eût-il joué la comédie de l’amour ?

Schwartzmann répétait :

— Vous n’avez donc pas confiance en votre ami ?

Alors, lançant un dernier regard à son image victorieuse, Jacqueline déclara — avec une fermeté orgueilleuse :

— Partez… J’ai confiance en moi !

Le train s’ébranla lentement.

— Au revoir !… Bon voyage.

René et Jacqueline, serrés l’un contre l’autre, adressaient leurs adieux à Hans, dont la figure souriante se penchait à la portière.