Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/55

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La jeune fille était dans sa chambre, à demi étendue sur son lit, dans une attitude de lassitude et de découragement.

Elle avait passé ces huit derniers mois à se torturer de questions angoissantes. Que signifiait la conduite extraordinaire de Hans ? Son silence inqualifiable l’avait tout d’abord inquiétée, elle lui avait écrit, en cachette de son père, à plusieurs reprises. Aucune réponse. Jacqueline avait connu l’attente irritante d’une lettre qui ne vient pas, qui ne viendra jamais et qu’on espère à toutes les heures de tous les jours ; elle avait frémi, à chaque courrier, quand la femme de chambre posait les enveloppes sur la table ; un coup de sonnette la faisait bondir. Puis, froissée, la jeune fille s’était renfermée à son tour dans le silence. Son frère avait été le seul confident de sa déception.

Et maintenant, René l’interrogeait doucement :

— Les paroles maladroites de papa t’ont chagrinée, ma petite sœur ? Tu as repensé brusquement à Hans, à son abstention si… bizarre. Peut-être avons-nous tort de douter de lui et de sa parole. Malgré une absolue communion d’idées, il y a je ne sais quoi d’inexpliqué, d’inexplicable entre Schwartzmann et nous. Certains côtés de sa nature se rattachent à son origine, à son éducation première : ces choses-là le font différent de nous. Qui sait s’il ne reviendra pas tout à coup, un beau jour, pour nous donner la clé très simple de cette énigme indéchiffrable ? Ce que nous trouvons si singulier lui semblerait tout naturel. C’est un étranger, Hans… Dans : étranger, il y a étrange.

— Ne cherche donc pas à m’abuser, René, puisque nous pressentons la même vérité. Schwartzmann n’a pas écrit, parce qu’il renonce — ou qu’on lui a fait renoncer — à ses projets…

— Tu as de la peine, Jacqueline ?

— J’ai de la rancœur.

— Tu es malheureuse ?

— Je suis mortifiée.

— Est-ce que tu l’aimais… profondément ?

— Je ne sais plus.

Jacqueline se redressa ; et, posant son regard intelligent sur son frère, elle dit rêveusement :

— Tu comprends, je n’ai pas pu faire de comparaison ; je n’ai jamais été amoureuse de personne et personne n’a jamais été amoureux de moi, avant… C’est dans les romans que les jeunes filles, dès la quinzième année, ont une cour de soupirants, font de nombreuses conquêtes et deviennent l’héroïne d’un drame sentimental… La vie réelle est plate et vide… Tu me trouves plus jolie que la moyenne des femmes, n’est-ce pas ? Eh bien, voici le bilan de mes aventures : chaque fois que je sors seule, je suis suivie par des vieux messieurs… Quand j’entre dans une salle de théâtre, les lorgnettes se braquent sur moi… Mais puis-je me vanter d’avoir excité une passion sincère ? On m’a fait deux fois la cour. Lorsque j’eus dix-huit ans, Edmond Barbier, le clerc d’avoué, m’a bombardée de déclarations, parce qu’il eût souhaité de racheter l’étude de son patron avec ma dot… Et, l’année dernière, un jeune médecin s’est prétendu fou de moi, car il désirait vivement de se marier — un tout jeune docteur célibataire effarouchant souvent la clientèle pudibonde et féminine. De mon côté, je n’éprouvais, que de l’éloignement à l’égard de ces garçons vulgaires, sans charme et sans imagination… Ma première aventure, c’est Hans, — cet étranger impénétrable et