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Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/68

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tesque Hermann Fischer interrogeait un minuscule chasseur de l’établissement.

Le chasseur — un gamin pâlot, à la mine éveillée — toisa ces clients avec une attention d’observateur.

Où allait-il les envoyer, ces trois Alboches en quête de plaisirs ?

À un thé dansant ? Mais un coup d’œil jeté sur Caroline — son chignon tordu lourdement sous le canotier de voyage, son paletot-sac et ses souliers aux talons plats étant un critérium ; — fit supposer à l’enfant que cette sorte de divertissement plairait peu à Madame.

Le visage sévère et hautain de Hans Schwartzmann n’indiquait rien qui pût préciser ses goûts. Un moment, à l’aspect de ces ventres rebondis qui bombaient le gilet des deux hommes et la jupe renflée de l’Allemande, le petit chasseur eut la tentation de leur conseiller un farniente agréable dans ce hall même où ils pourraient continuer de s’empiffrer de pâtisseries diverses et de chocolat, en guise de digestion. Mais le désir de mériter sa gratification probable lui inspira un effort plus consciencieux ; et il finit par proposer :

— Connaissez-vous Enghien ?

— Non, dit Hermann.

— Eh bien ! Allez à Enghien… Il y a un Casino, un lac sur lequel on fait des promenades en barque… On prend le train à la gare du Nord.

Au nom d’Enghien, Hans Schwartzmann avait souri. Comme bon nombre d’artistes, l’écrivain était joueur. Sa carrière — où le hasard a tant de rôle, qu’il permet aux envieux de confondre la chance et le succès en une même acception, — lui avait enseigné la superstition du sort. Et le surmenage intellectuel que lui imposait son métier l’inclinait aux récréations qui ne s’adressent point à l’esprit, comme de tripoter des cartes ou de jeter des jetons sur un tapis.

Schwartzmann avait entendu dire que l’on jouait à Enghien. Il décida d’y conduire sa femme et son beau-frère.

Dès qu’ils furent en wagon, Hans Schwartzmann retrouva des impressions de Monaco : ils avaient, pour compagnons de route, un vieux monsieur et une vieille dame qui commentaient leurs gains et leurs pertes de la veille, et se communiquaient gravement les listes de numéros relevés au jeu de la boule, leurs « permanences », leurs systèmes fatidiques.

Hans céda au désir de Caroline qui souhaita tout d’abord une promenade en bateau. Assis sur la mince planchette d’arrière qui craquait sous son poids, l’écrivain, en regardant l’embarcation glisser sur la robe moirée du lac, éprouvait le sentiment des gens qui ont beaucoup voyagé : devant chaque paysage nouveau, les réminiscences d’autres excursions lui rappelaient des choses déjà vues.

Il savourait avec béatitude la douceur de l’heure présente. Ses yeux pleins de souvenirs contemplaient cette nappe d’eau tranquille ; les rives plantées d’arbres ; et les maisons de plaisance qui s’échelonnaient tout le long de la berge, étalant des jardins soignés, une architecture fantaisiste et coquette ; leurs propriétaires les avaient désertées depuis quelques jours, et les petites villas fermées dégageaient cette espèce de mélancolie attendrissante que nous inspire un jouet abandonné.

La barque avançait, se rapprochant du bord, frôlant les saules ; des murmures imperceptibles coupaient le silence : le frémissement des feuilles mêlé au bruissement des rames ; une vague musique, au lointain. Parfois, on traversait une arche de verdure dont les