Page:Marais -8Aventure de Jacqueline.djvu/7

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qué, se mêle à l’odeur fauve des fourrures étalées çà et là. Et partout, le désir de plaire se décèle : depuis la lueur ardente qui allume les prunelles des coquettes, le mouvement joli des mains caressant le pli d’une dentelle, le battement d’un pied impatient ; jusqu’à la recherche ingénieuse de l’ameublement, l’agencement des étoffes claires ; et l’allure crâne des petits chapeaux aux aigrettes frémissantes, qui semblent se réjouir d’être des parures précieuses.

L’inconnu contemple tout cela ; puis, ses regards se portent plus loin, découvrent Jacqueline assise à sa table ; et il examine la jeune fille à l’instant même où celle-ci, relevant les yeux, l’aperçoit.

La petite Bertin détaille l’étranger des pieds à la tête, rapidement, d’une œillade aiguë.

Elle pense : « Ce n’est pas un fournisseur, ça… c’est un client… un monsieur chic. » Devant l’élégance empesée, la mine rogue de l’inconnu, elle décrète : « Il n’est pas Français… D’abord, il est seul. » Elle en voit tellement, de ces étrangers, Anglais ou Américains, qui entrent majestueusement, marchandent un chapeau et le font livrer — ou même l’emportent quelquefois à la main — sans que la femme à qui l’objet est destiné soit venue le choisir.

Jacqueline observe plus attentivement ce grand gaillard arrogant : ses yeux bleu clair s’embusquent derrière un lorgnon, ses cheveux blonds et gris, taillés en brosse, un peu parsemés sur le haut du front, laissent voir la peau du crâne, rose et satinée, d’une couleur comestible de saumon cuit. Les joues grasses sont de ce même rose frais et uni, comme peintes à la gouache. Les moustaches épaisses, d’un or un peu roux, redressent leurs pointes agressives au-dessus d’une bouche sensuelle, colorée d’un sang pur. Un air de jeunesse, de santé extraordinaire, empêche d’évaluer l’âge exact du personnage ; seules, la charpente puissante, les tempes argentées, la maturité des traits annoncent la quarantaine chez ce colosse admirablement bâti :

Alors, présumant sa nationalité, Jacqueline murmure entre ses dents :

— Bon !… Un Allemand… Il faut que je me dérange.

Elle se lève à regret, avec un regard pour le roman qu’elle abandonne ; coïncidence : c’est justement un ouvrage allemand qu’elle était en train de lire : La Gloire, l’œuvre de Hans Schwartzmann, l’écrivain berlinois dont la jeune célébrité a déjà traversé le Rhin et se répand parmi nos lettrés.

L’inconnu examine avec complaisance cette petite blonde mince : son costume bien coupé souligne agréablement ses rondeurs de fausse maigre ; elle se dirige vers lui, à pas légers et glissants qui déplacent à peine la jupe.

Jacqueline lui adresse la parole en allemand ; mais c’est dans un français très pur où se sent à peine la prononciation tudesque, que lui réplique son interlocuteur ; — avec l’amour-propre des étrangers cultivés qui aiment à montrer leur connaissance parfaite de notre langue. Il déclare :

— Je désire parler à M. Aimé Bertin lui-même.

Jacqueline s’empresse : elle croit flairer la grosse commande, sous les manières du client d’outre-Rhin ; désignant M. Bertin qui essaye un manteau de chinchilla à la comtesse de Luxeuil, la jeune fille répond aimablement :

— Voici mon père… Il est occupé en ce moment, mais je peux…