Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/26

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Naturellement, puisque c’était celui qui n’avait pas pris garde à moi…

Je restais à la même place, après cet incident ; Je m’étais assise sur un banc — depuis combien de minutes ? — lorsque quelqu’un vint s’installer à côté de moi. D’un coup d’œil oblique, je reconnus mon voisin : son feutre vert-bronze jetant un trait d’ombre sur son front bas, ses yeux étranges aux lueurs glauques, l’un clignant plus que l’autre. Je détaillai son visage au nez court, au teint ambré, à la moustache épaisse, d’un châtain-brûlé où courent des fils blonds.

Je remarquai — heureuse de critiquer cet homme dédaigneux — qu’il portait des bagues à tous les doigts et une cravate trop voyante, en étoffe chinée. Énervée, je pensai : « Que vient-il faire là ? Pourquoi a-t-il quitté son ami ? »

Une irritation sourde m’envahissait. Je me rappelais le ton dont il avait dit :

— Vous êtes toujours le même, mon cher Henri ! Qu’une femme passe : vous voilà hors de vous. Ah ! cœur de collégien !

Je le regardais encore, évaluant son âge : quarante-trois, quarante-cinq ans ?… quand je m’aperçus qu’il m’observait également l’œil fixe et la bouche souriante, avec cet air particulier que prennent les hommes chaque fois qu’ils tendent leur filet à papillonnes vers une aventure… Ah ! ça… tiens, tiens, tiens…

Et, c’est bête… à ce moment, cela me reprit : mon amour-propre piqué, mon agacement, tout fuyait, s’évaporait, sous l’influence de ce regard singulier, aux lueurs changeantes… Je m’imaginais que l’homme me déplaisait avec ses cheveux plaqués au front et ses bagues d’aventurier… mais ses yeux m’attiraient malgré moi… Et puis, c’est très difficile à dire, ce que j’éprouvais :