Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/49

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Anglais en miniature, avec sa jetée et ses jolies villas essaimées. Je ralentis le pas, suivant le trottoir à petites enjambées timides… Est-ce bête d’être impressionnable ! Mes membres deviennent mous et mes doigts tremblottent, parce que je viens de lire en lettres blanches sur une plaque bleue : « Villa des Algues. » Je regarde à travers la grille : une allée sablée que parent deux bordures d’œillets pourpres et soufre, et de gros œillets violacés, aux pétales chiffonnés. Une pelouse d’herbes folles, jonchée de chardons et d’orties. Et, couverte d’un manteau de glycines, la villa fleurie s’adosse à une sorte de colline plantée de palmiers touffus, de genévriers poussiéreux, de cactus et d’araucarias. Sur la terrasse, un rocking-chair vide se balance encore… il y a bien peu de temps qu’on l’a quitté. Poltronne, je m’écarte à cette idée. Mais, les fenêtres closes me rassurent par l’immobilité de leurs rideaux beiges.

Je m’accorde cinq minutes de grâce (comme avant de sonner chez le dentiste) : j’irai jusqu’au bout de l’avenue, près de la Réserve, et puis je reviendrai… Je dépasse la villa, soulagée. Et, tout à coup, je m’arrête, en apercevant la superbe villa Valetta, la somptueuse demeure épiscopale, à demi cachée par les arbres de son jardin magnifique. Une flore exotique entasse là ses merveilles. Ce sont des poiriers du Japon ; des allées de palmiers de Chine, trapus et massifs ; d’étranges plantes grasses qui se tordent en anneaux, comme un enchevêtrement de serpents verts ; et de grands cyprès noirs, de longues tiges d’aloès, de hauts palmiers à cire, des dattiers, dont la cime s’élance vers le ciel. Songeuse, je contemple ces verdures profondes…

— Peureuse !

Je me retourne : Jean est là. Il a mis sa main sur mon épaule et me regarde fixement, l’œil narquois. Il n’a pas de chapeau ; ses cheveux grisonnants, aux mèches mordorées, s’allument d’un reflet roux, sous le soleil. Il porte un veston d’intérieur en velours sombre. Je comprends : il m’a aperçue de sa villa et il est descendu tel quel pour me suivre. Il dit :

— Je me doutais de cela. Je vous guettais derrière mes fenêtres et j’eusse été bien étonné de vous voir entrer… Je suis sorti derrière vous : j’avais parié avec moi-même que vous fuiriez : j’ai perdu, puisque vous êtes venue ici, sans rebrousser chemin…

— Eh bien ? Je m’en suis allée à gauche au lieu de retourner à droite : n’est-ce pas la même chose ?

— Non, chère amie : de ce côté, la route se termine en impasse : vous ne pouviez plus m’échapper. Venez, jeune prisonnière.

Il m’emmène doucement. Quand j’étais