Page:Marais - La Carriere amoureuse.djvu/73

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— J’ai envie de vous… tout de suite. Pardonnez-moi, Nicole ; je dis ça brutalement… mais, vous avoir là, près de moi… ça me semble trop beau. Je doute encore… Et j’ai un besoin fou de m’assurer de mon bonheur.

— Je n’ai pas à vous pardonner. Paul. Je me suis consentie librement. Prenez-moi quand vous voudrez, à l’instant si vous voulez…

Je paye d’avance, moi. Je poursuis :

— Par exemple, l’auto, me semble peu confortable pour ce genre de sport.

J’ai déjà pris le ton libertin de ce que je vais être…

Nous nous trouvons maintenant rue Saint-Lazare. Paul a fait du chemin tandis que je rêvais !… Nous sommes bloqués dans un embarras de voitures devant la gare. Je propose :

— Remontons au Parc Monceau… Ne m’aviez-vous pas dit que vous possédiez un pied-à-terre rue Murillo ?

— Je ne veux pas vous y conduire, Nicole. C’est ma maison extra-conjugale, l’entresol où j’ai reçu maintes visiteuses… Je vous considère autrement que les « autres ». Je tiens à ce que nul souvenir importun ne puisse salir ma joie…

Moi, ça m’est égal. Là ou ailleurs ! Oui, mais si Jean m’avait témoigné cette délicatesse, j’eusse été charmée…

Paul est épris : c’est ce qui lui inspire des idées auxquelles je ne songe point. Il continue, perplexe :

— Où vous mener ? C’est grotesque, ces situations-là ! À Paris, à moins d’avoir un logis à soi, on ne peut pas s’aimer dans des endroits propres…

— Je n’ose pourtant vous offrir d’aller rue La Boëtie ! Non, la tête du valet de chambre lorsqu’il nous verrait…

— Écoutez, Nicole. J’ai une pensée que d’autres trouveraient idiote. C’est tellement paradoxal de vous proposer cela par raffinement… Enfin ! voici : je préfère un asile équivoque — mais inconnu — à mon appartement de la rue Murillo, où demeurent trop de choses (je donnerai congé). Dans un lieu quasi-public, si vous trouviez des épingles à cheveux sur la cheminée, ça ne me gênerait pas. Chez moi, un incident du même genre… serait différent… Comprenez-vous ? Alors, dites-moi, franchement, si vous acceptez, si ça ne vous choque pas trop… d’aller… autre part, dites ?

— Comme il vous plaira.

Nous sommes aux abords de la Trinité. Dans ce quartier hospitalier, Paul n’a qu’à choisir. Nous stoppons bientôt devant une porte close, d’aspect sévère et confortable, comme l’immeuble. La porte s’ouvre silencieusement. Je passe dans un vestibule aux tapis épais où les pas s’enfoncent. Une lampe électrique tamisée d’étoffe rose éclaire faiblement l’entrée.

Je regarde autour de moi, avec curiosité, sans confusion : je me roidis pour m’aguerrir à toutes les situations honteuses. Je ne veux rien laisser paraître de ce que j’éprouve… Un parfum entêtant et divers flotte ici : que de chypre, d’iris, de muguet, de muscs différents ont dû y traîner ! Soudain, deux petites soubrettes à l’air effronté, au tablier blanc, au bonnet pimpant, sortent d’on ne sait où et se mettent au service de Paul :

— Monsieur et madame prennent l’ascenseur ?