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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/136

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vait cette sensation irritante que cause l’agitation d’une mouche autour d’un dormeur : elle l’énerve sans l’éveiller tout à fait.

Lorsque les deux jeunes filles se trouvèrent sur le boulevard Saint-Germain, Laurence s’excusa d’arrêter sa compagne devant l’étalage d’un marchand de comestibles et procéda tranquillement à l’achat des denrées nécessaires à son dîner. Bessie ne put s’empêcher d’admirer : la simple dignité avec laquelle Mlle d’Hersac supportait l’adversité. Une autre eût été confuse, aurait cru déchoir, eût bredouillé des excuses bêtes ou maladroites. Elle, avec une désinvolture paisible, se livrait sans explication à ces occupations nécessaires ; puisant son assurance dans la certitude que les soins les plus grossiers ne parviendraient jamais à la rendre vulgaire. Dans sa nouvelle situation, elle demeurait la Dame — au sens exquis de ce mot du temps jadis comme étaient restées Dames ses aïeules, de la Révolution qui conservaient dans un grenier la grâce et le charme inexprimable de la distinction héréditaire.

Bessie murmurait pensivement : « L’âme latine !… »

Mais plus Laurence lui devenait sympathique, plus Bessie s’alarmait et se dépitait : de cet éloignement singulier que Mlle d’Hersac s’efforçait visiblement de réprimer.

La nature franche et spontanée de la petite Américaine la poussait droit au but. Elle résolut d’avoir une explication immédiate de l’étrange conduite de Laurence. Passant son bras sous celui de la jeune fille, elle attaqua d’un ton de reproche caressant :

— Savez-vous, miss Laurence, que je vais être jalouse de Teddy… vous l’aimiez mieux que moi.