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directorial, la dactylographe examinait avec une curiosité moqueuse cette fille de marquise qui portait des chaussures ressemelées. La toilette de Laurence était aussi modeste que celle de l’employée ; mais un je ne sais quoi — le regard fier, le port de la taille, l’élégance native, la race enfin, — faisait ressortir la supériorité de Mlle d’Hersac dans cette tenue d’égale.

Cette différence, perçue obscurément par la dactylo, lui inspirait une instinctive hostilité d’inférieure. Elle avait flairé en Mlle d’Hersac une détresse, mais cette détresse gardait trop de superbe pour l’apitoyer. Les humbles ne peuvent comprendre un malheur qui ne baisse pas la tête.

— Vous pouvez entrer, dit la dactylographe en lui désignant la porte ouverte.

Laurence pénétra dans une pièce plus confortablement meublée, mais aussi sinistre que l’étude : il y flottait de la poussière de procédure, de tracas et de misère ; une atmosphère d’ennui y pesait lourdement.

Assis derrière une table chargée de paperasses, l’homme d’affaires regardait entrer la visiteuse en restant insolemment fiché sur son fauteuil de cuir. C’était un homme sans âge, desséché par la vie d’affaires, à l’œil torve, au teint jaune, à la physionomie fuyante et désagréable. Il dévisageait fixement, sans expression, la belle jeune fille visiblement émue dont les traits délicats se paraient en cet instant d’un charme mélancolique.

(À suivre.) JEANNE MARAIS.

(Illustrations de Suz, Sesboué).


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