Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/157

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Cette course en auto, vers une ambulance lointaine, rappelait à Laurence l’autre course au Perray qui avait été le prélude de son malheur intime. Trois mois seulement… Et des puis, elle avait aimé, souffert, désespéré, perdu sa mère, perdu son amour… Aujourd’hui, c’était un triste paysage d’automne aux arbres roux, aux verdures flétries, que traversait l’automobile ; et la voyageuse, plus désolée qu’auparavant, s’enveloppait dans ses voiles de deuil : allait-elle perdre son frère, à présent ?

L’auto s’arrêtait devant l’entrée de l’hôpital.

— Attendez-moi… une minute ! fit Bessie en contraignant Laurence à rester dans le parloir.

Miss Arnott entra délibérément dans le bureau du docteur Warton.

Jack parut extrêmement gêné en l’apercevant. S’avançant vers elle, il commença avec embarras :

— Ma chère Bessie…

— Non… écoutez-moi ! interrompit fermement la jeune fille.

L’autorité qui émanait d’elle, l’étrange expression qui assombrissait ses yeux bleus étonnèrent le chirurgien qui resta silencieux.

Elle reprit avec vivacité :

— Il ne s’agit pas d’une explication… Nous sommes dominés par les événements ; c’est, en somme, la définition de notre époque… Jack, vous allez m’obéir parce qu’il faut que cela soit fait… Et surtout, ne m’offensez pas en supposant que je me sacrifie : il n’est pas question de sacrifice, mais de décision. Jack, vous avez cessé de m’aimer, malgré tous vos efforts pour dissimuler votre indifférence. Je romps. Que faire ?… Je ne puis contraindre les mouvements de votre cœur ; et je suis trop exclusive pour accepter d’épouser un homme