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Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/48

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Seule, elle revint dans le salon, ressassant en elle-même cette idée fixe suggérée par les paroles du docteur Martin : « Si maman meurt de chagrin, c’est donc ce misérable Thoyer qui l’aura tuée ! »

Puis, cette pensée : « Pourrais-je continuer d’exister, sans maman ?… Non. Et François ? Bah ! Il se passera de moi : ce n’est que mon frère… la vie sera là, pour le consoler. Alors je vais la soigner, d’abord. Et puis, lorsqu’elle sera morte, j’irai tuer Thoyer et je me suiciderai ensuite. »

Elle était calme. La résolution prise l’imprégnait d’une sombre énergie. Le sang maure qui coulait dans ses veines et colorait ses lèvres lui inspirait cet âpre désir de vengeance, sans effroi du meurtre, au contraire : un sourire cruel découvrait ses canines blanches à l’idée qu’elle blesserait mortellement l’individu rapace qui s’acharnait à les torturer par souci du lucre. Elle se voyait, appuyant l’arme contre ce front jaune, faisant sauter cette vilaine cervelle d’homme d’affaires…

Un crime ? Non : un geste justicier d’orpheline. Un besoin de représailles enflammait son âme espagnole.

Elle ouvrit le petit secrétaire à coffre-fort qui se trouvait entre les deux fenêtres. Dans le tiroir à secret, était placé un browning chargé.

Et Laurence contempla l’arme d’un air pensif, avec une expression bizarre, un regard où luisait une sorte de joie sinistre, ce que l’on pourrait appeler : l’espoir de la désespérance…

(À suivre.) JEANNE MARAIS.

(Illustrations de Suz. Sesboué).