Page:Marais - La Nièce de l'oncle Sam (Les Annales politiques et littéraires, en feuilleton, 4 août au 6 octobre), 1918.djvu/57

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homme à travers le magasin, il ajouta sur le même ton moqueur :

— Est-ce que vous désirez jeter un coup d’œil sur nos modèles… Voici le costume « tonneau », la dernière nouveauté…

Teddy Arnott, imperturbable, répliqua d’un air renseigné :

— Oh ! La robe « tonneau » tombera vite dans la confection… Je préfère la jupe plissée beaucoup moins banale, beaucoup plus chic !

Et après avoir tâté le grain d’une étoffe d’une main experte, il salua légèrement le tailleur et sortit du magasin.

Sur le pas de la porte, M. Litynski, amusé et abasourdi par cette visite singulière, suivit des yeux le petit Américain qui s’éloignait rapidement dans la direction de la Madeleine : puis, il murmura avec un sourire indulgent :

— Eh, eh !… Ils débutent jeunes, les Sammies !

VIII

Il ne faudrait pas croire, parce qu’il venait sans y songer d’exercer l’une des trois vertus théologales, que Teddy Arnott fût un saint. Il possédait simplement cet égoïsme exquis des gens heureux qui éprouvent un malaise à voir souffrir autour d’eux : quelques-uns se contentent, pour dissiper ce malaise, de s’éloigner du malheur voisin ; d’autres lui tendent la main. Teddy était doué de cette forme d’égoïsme qui tend la main.

Il agissait ainsi par satisfaction personnelle, pratiquant le bien sans souci de le faire — ce qui est, en somme, la définition de la véritable charité. Considérant son acte comme une sorte de plaisanterie, de niche, — une great surprise, — sa première pensée après l’avoir accompli fut d’en savourer le résultat ;