Page:Marais - Nicole, courtisane.djvu/97

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et les coins de sa bouche : une grimace d’enfant qui se retient de pleurer. Et tout à coup, elle s’écrie, la voie saccadée, en fronçant des sourcils farouches :

— Ça ne m’étonne pas qu’il vous aime tant !… Vous êtes trop jolie.

Interdite, je me rapproche. Je considère avec plus d’acuité cette brune aux yeux bleus qui se désole si consciencieusement parce que quelqu’un m’aime… En un éclair, je fais le tour de mes amoureux : auquel appartient cette jalouse charmante ? Brochard ?… Il est vieux. Paul me demeure fidèle. Julien Dangel ? Tiens !… Une ressouvenance me parle à l’oreille, avec la voix chantante du petit Dangel : « Elle s’appelle Sylvie… Dix-neuf ans… Des cheveux frisés, noirs et légers, comme crayonnés au fusain autour de sa figure pâlotte… de grands yeux bleus, de la couleur des fleurs de lin que l’on cueille chez nous… » Parbleu ! Voilà pourquoi je croyais reconnaître le visage de ma jeune inconnue, tout à l’heure : ce portrait m’était resté dans l’esprit, grâce à la capricieuse mémoire qui nous fait oublier souvent l’essentiel, pour nous rappeler soudain des vétilles lointaines.