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J.-P. MARAT

qu’il y a trop de noblesse dans le style des personnages subalternes du roman.

Les lettres de Phara, de Narsit, de Solim, etc., sont écrites avec le même goût que celles d’Usbec ; et il eût été facile d’assortir le ton de ces personnages à l’humilité de leur condition.

Peut-être relèvera-t-on encore quelques mots[1] peu en usage, échappés à la plume de l’auteur. Mais avoir réduit la critique à de pareils reproches, n’est-ce pas l’avoir forcé de reconnoître que l’ouvrage est parfait ? Oui, Messieurs, quelques taches presqu’imperceptibles n’ôtent rien à l’éclat du Soleil.

Les Lettres persanes avoient été données anonimes, et quoique leurs succès prodigieux fût bien fait pour flatter l’amour propre, Montesquieu ne les avoua pas d’abord ouvertement : il paraissoit craindre qu’on ne fît contraster la gaieté de l’écrivain avec la gravité du magistrat. Peut-être aussi espéroit-il par là échapper plus aisément à la malignité des Zoïles, dont les traits portent plus volontiers sur l’auteur que sur l’ouvrage. Quoi qu’il en soit, l’événement ne tarda pas à justifier ses appréhensions. À peine son secret eut-il percé, qu’on lui fit un crime de la liberté avec laquelle Usbec s’exprime sur certaines matières, qu’on affectoit de confondre avec le christianisme ; et bientôt il vit l’ignorance, la superstition et l’envie, décorées du beau nom de Zèle, se soulever contre lui.

Montesquieu s’étant présenté pour une place à l’Académie françoise, le Ministre dont de lâches envieux avoient alarmé la religion, écrivit à cette compagnie : « Que Sa Majesté ne donneroit jamais son agrément à l’auteur des Lettres Persanes, qu’il n’avoit point lu ce livre ; mais que des personnes en qui il avoit confiance lui en avoient fait

  1. Caravanceras, s’entrepécher, décisionnaire, sont les seuls exemples.