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Page:Marat - Éloge de Montesquieu, éd. Brézetz, 1883.djvu/50

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J.-P. MARAT

passion, un tableau aussi étrange à nos mœurs pouvoit paroître manquer d’intérêt. Aussi l’auteur a-t-il eu soin de l’animer par un style poétique, et de l’égayer par les descriptions riantes des lieux enchantés où il promène le lecteur.

Certains censeurs ont peine à concevoir qu’un penseur aussi profond ait ambitionné la gloire de ce genre : comme s’il n’étoit pas permis au génie de s’occuper à un ouvrage de pur agrément, et comme si la vie n’étoit pas assez remplie de peines, pour faire un crime à la sagesse de charmer quelquefois nos ennuis.

Ne pouvant se résoudre à prendre le Temple de Gnide pour une production de l’âge mûr, ils veulent que cette charmante fiction soit un ouvrage de pure galanterie, où l’auteur, jeune encore, adresse ses vœux à quelque objet digne de les recevoir, et lui présente, sous le nom de Themire, l’encens le plus délicat. Il est vrai qu’il semble avoir répandu sur cet opuscule la fleur naissante de son imagination ; mais ne levons point le voile que la main du maître y a jetté ; et au lieu de l’homme sensible et charmant qui soupire sa tendresse, n’y voyons que le philosophe aimable qui essaye d’épurer l’amour, si tant est que l’image d’un sentiment honnête conserve encore quelque empire sur des cœurs corrompus ou trop faibles pour résister au torrent de la corruption.

Le Temple de Gnide forme un tableau fidèle du cœur humain, différemment agité par l’amour. L’amour y est représenté sous toutes ses faces, et c’est aux cœurs tendres seuls qu’il promet le bonheur. Bonheur suprême ! s’il étoit sans mélange et s’il pouvoit durer toujours. Mais trop souvent la crainte, les soupirs et les larmes le précèdent. Et si le tendre désir, le doux épanchement des âmes, les transports de la joye et les douceurs de la volupté en forment le charmant cortège, trop souvent en-