Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/363

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sotins ; aussi se mirent-ils à cajoler le peuple, et à le pousser à redemander son magistrat chéri ; car ils savent très bien qu’il n’y a que vous pour avancer leurs affaires.

Au commencement d’août dernier, je vis Pétion pour la première fois. Sachant très bien qu’il était continuellement obsédé par la faction Brissot, je voulus le sonder ; en conséquence, je lui demandai un rendez-vous, sous prétexte d’obtenir un passeport : il tint conseil et me renvoya au lendemain matin ; je fus reçu avec cette jovialité niaise qui le caractérise : c’est bien lui ! ô c’est bien lui ! s’écriait le bonhomme, en me tenant dans ses bras. J’étais un peu surpris de ses caresses, je les attribuai à l’espoir qu’il avait de me voir partir bientôt ; ma conjecture se changea en certitude, lorsque je vis son air se rembrunir, en m’entendant lui annoncer que je ne partais pas et en le pressant de me donner deux des presses saisies chez Durosoy.

L’aveugle sécurité qu’il témoigna dans notre entretien eut lieu de m’étonner. Nous touchions au moment des grands événements ; il repoussa, en goguenardant, la nouvelle de l’invasion des Prussiens, de l’inaction desquels il se portait garant ; il repoussa de même l’idée des perfidies des machinateurs du dedans ; et en vrai donneur d’opium, selon sa louable coutume, il assura que le vrai moyen d’être enfin libres, invincibles et heureux, était de nous tenir tranquilles et unis, c’est à-dire de laisser faire nos ennemis, en nous entendant avec eux. Il a fallu les cruels événements du 10 pour prouver au public qu’il n’était qu’un rêveur, dont la sotte confiance nous avait exposés à être tous égorgés.

Pétion est un bon homme, un homme probe, j’en conviens ; il figurerait à merveille dans une place de juge de paix, d’arbitre, de caissier municipal, de recteur de collège, de receveur de district ; mais il a des yeux qui ne voient rien, des oreilles qui n’entendent rien, une tête qui ne médite sur rien ; il blanchit à la vue d’un sabre nu ; il veut réprimer les contre-révolutionnaires en les sermonnant,