Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/17

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Dans cette évolution à la fois si rapide et si complète, on ne saurait du moins reprocher à Marat de manquer de sincérité, car il ne refuse à son lecteur aucune explication, aucune clarté. Il expose avec abondance les raisons de ses doutes, de ses mécontentements et de ses haines ; et, si l’on veut se rendre compte des motifs qui déterminent son attitude, il suffit de faire appel à son témoignage. Le ton calme et grave qu’il garde dans l’Offrande à la Patrie s’aigrit peu à peu, et s’exaspère au contact des événements et au souffle de l’enthousiasme révolutionnaire. Cela suffit pour que les hommes s’effacent à ses yeux, pour que, dans la grande oscillation qui secoue le monde, toutes les amitiés de la veille s’effritent et s’écroulent. C’est ainsi que le jour où Brissot refuse de le suivre dans sa campagne contre Necker et contre la municipalité de Paris, il abandonne délibérément cet ancien ami[1], le considère comme « complaisant ou vendu », et lui reproche jusqu’au style de ses premiers ouvrages[2].

Au reste, s’il sacrifie aussi aisément les amis qui l’ont soutenu dans son âpre lutte contre l’Académie des Sciences, sa rancune contre celle-ci n’en est ni moins tenace ni moins profonde. Les blessures qu’il

  1. Sur les relations d’amitié qui existaient entre Brissot et Marat avant la Révolution, voir notamment une lettre de Marat à Brissot dans notre édition de la Correspondance de Marat (pp. 8-10), et une lettre de Brissot à Marat dans la Revue historique de la Révolution française de janvier-mars 1911 (pp. 90-92).
  2. Voir plus loin, p. 187, note : « Ses premiers écrits ne l’avaient pas fait placer dans la classe des écrivains distingués… »