Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/25

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te donner le change par des actes d’une fausse générosité.

Ô Français ! vos maux sont finis, si vous êtes las de les endurer : vous êtes libres, si vous avez le courage de l’être. L’Europe entière applaudit à la justice de votre cause ; convaincus de la légitimité de vos droits, vos ennemis mêmes ont cessé de s’inscrire contre vos réclamations ; et pourvu que vous abandonniez le dessein de les consacrer dans l’Assemblée Nationale, loin de refuser de subvenir aux besoins de l’État, dont ils ont été jusqu’ici les sangsues, ils offrent d’en acquitter seuls la dette. D’en acquitter seuls la dette ! mais le peuvent-ils ? et où prendraient-ils de quoi combler l’abîme ? Libérateurs présomptueux, en est-il cent dans le nombre qui ne soient ruinés par le luxe, par les prodigalités, par le jeu, par le brigandage de leurs gens d’affaires ? en est-il cent qui ne soient eux-mêmes obérés ? Voyez leurs terres en décret, en friche, ou en vente ; voyez leurs biens en saisie réelle, ou en direction. Mais quand ils ne s’abuseraient pas, quand ils pourraient, quand ils voudraient libérer le Gouvernement, leur pompeux sacrifice ne serait qu’une ressource précaire, et l’État a besoin de ressources assurées. Défiez-vous du piège qu’ils vous tendent. Ils consentent à payer un jour sans mesure, pour ne plus payer de la vie ; et s’exécutant une fois pour toutes, ils resteraient maîtres du champ de bataille, ils vous tiendraient abattus pour toujours, ils appesantiraient vos fers, et continueraient à s’engraisser de votre sueur, à se gorger de votre sang.

Ils avaient arrêté de ne pas vous reconnaître pour l’Ordre principal de la Nation[1] ; et quoiqu’ils ne tiennent plus les mêmes discours, leur conduite n’a point changé. Ne voyant qu’eux dans la nature, ils se comptent pour la Nation entière.

  1. Allusion aux longues discussions des derniers mois de 1788, quand la noblesse et le haut clergé s’opposaient à ce que le Tiers-État eût, à lui seul, autant de représentants aux États-Généraux que les deux autres ordres réunis.