Page:Marat - Les Pamphlets, 1911, éd. Vellay.djvu/291

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remède, si la critique, cet art précieux d’apprécier les productions scientifiques, continuait de nous éclairer. Mais depuis longtemps elle a disparu du milieu de nous ; et les Ménage, les Le Clerc, les Bayle, etc., ne sont guère remplacés que par de vils folliculaires qui trafiquent sans pudeur de leurs injures ou de leurs éloges : or, qui ignore leur asservissement à tout ce qui s’appelle académie ?

Quant à la littérature, le charlatanisme, je le sais, n’a pas si beau jeu ; du moins, le règne de l’erreur est-il de plus courte durée ; les mauvais ouvrages tombent presque toujours d’eux-mêmes et les ouvrages médiocres sont bientôt réduits à leur juste valeur, malgré les efforts des intrigants intéressés à les préconiser : car le public a toujours assez de lumières pour les juger par lui-même, et c’est là un des grands avantages du littérateur sur le savant.

L’artiste est encore plus favorisé. Dans les arts il semble qu’il ne faut que des yeux : le beau frappe l’homme même le plus borné ; sensible à ce qui lui plaît, il laisse éclater les impressions qu’il éprouve, et il applaudit avec transport au talent qui les lui procure.

Mais en fait de sciences, le public est aveugle, sourd et muet. Ne pouvant s’en rapporter à lui-même, il n’est que l’écho des faux oracles qu’on lui dicte : car c’est le sort du novateur de n’avoir pour juge que ses adversaires. Aussi les savants ne se corrigent-ils de rien ; dans le temps même qu’ils déplorent la persécution exercée contre un grand homme, ils la renouvellent contre un autre.

Tel a été, tel est, et tel sera toujours le sort des hommes de génie qui ont devancé leur siècle, de déplorer toute la vie l’aveuglement de la génération présente, et de n’obtenir justice que des générations futures[1].

  1. Quoiqu’on ait très bien démontré dans ces derniers temps plusieurs erreurs de Newton en optique, on les prêchera sans doute encore pendant un siècle dans les collèges, et je n’en suis pas surpris ; mais qu’au lycée, établissement qui ne peut se sou-