Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
le charme de l’histoire

ment chez lui, ne regarda pas cette détention comme une chose bien malheureuse ; c’était un emploi agréable de son temps » (II. 173). Plus loin, il revient sur la même idée, en ajoutant que, « par caractère, Salaberry avait besoin de distractions ». Puis, l’espérance est tellement nécessaire à l’homme, tellement naturelle à qui sent sa conscience tranquille, que malgré tant de démentis cruels on espérait toujours. Chacun cherchait à se persuader que pour lui les choses se passeraient autrement que pour les autres, et qu’il trouverait justice devant Fouquier-Tainville. Lorsque Salaberry apprit qu’il était envoyé à Paris, pour être traduit devant le tribunal révolutionnaire, il se montra radieux, sûr de faire enfin éclater son innocence. Son domestique Bonvalet, qui l’avait défendu avec le plus grand courage devant les clubs et les assemblées populaires de Blois, jugeait mieux le danger. À Étampes, il grisa les gendarmes, se procura une voiture, puis vint dire à son maître : « Tout est prêt ; fuyez. » Salaberry refusa. « Quoi ! Tu veux que je mette ces deux braves gendarmes dans l’embarras !… Du reste je défie aucun tribunal de me condamner » (II. 192). Le lendemain il était jugé et, sur sa demande indignée, exécuté le jour même, pendant que sa femme, aussi tranquille que lui, était allée « faire des emplettes pour prendre l’air » ; et le pauvre serviteur, après avoir accom-