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le charme de l’histoire

les maux qu’ils nous avaient fait souffrir, et ils ne sont connus que par des meurtres et des incendies. Eh quoi ! vos auteurs auront d’abord arrosé nos murs de notre sang ; ils auront vu nos ancêtres sacrifier leur fortune pour pourvoir à leur entretien ; ils ne se sont pas montrés lorsqu’il a fallu les réparer ou les défendre contre les ennemis de l’État ; et aujourd’hui que leur destruction laisse un emplacement que vous annoncez vous-même de la valeur la plus minime, vous voudriez nous arracher cette faible ressource ! Vous nous disputeriez le prix de nos travaux et de notre sang ! »

Au fond, ces phrases éloquentes où l’on sent déjà bouillonner les revendications que la Révolution fera bientôt triompher, ne prouvaient rien sur la question de droit qui s’agitait dans le procès, mais elles faisaient grand effet dans le plaidoyer ; d’ailleurs, c’est bien souvent par des phrases qu’on mène les hommes, car si elles e prouvent pas, elles émeuvent, et l’émotion est aussi un des arbitres des procès. Cette fois, elles n’entraînèrent pas les juges, qui donnèrent gain de cause au duc de Noailles. Quoi qu’il en soit, elles firent honneur à l’avocat et elles sont citées dans toutes ses biographies ; Treilhard eut donc raison de les écrire.

L’année suivante (1771), une crise politique vint tout-à-coup interrompre la carrière de Treilhard.